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Entretien du 3/12/13
Pierre-Henri Conac
Professeur à l'Université de Luxembourg

L'union bancaire peut redynamiser l'Europe

 Les textes en discussion sur l’union bancaire constituent un pas très important dans le sens d’une Europe économique et financière intégrée. Pourriez-vous nous préciser l’objet de ces textes, ceux sur la supervision et celui sur la « résolution bancaire » ?

Effectivement, les textes sur l’union bancaire constituent un pas important et j’irai même beaucoup plus loin, une avancée historique du point de vue la construction européenne.

Les deux textes sur le mécanisme de surveillance unique ont été publiés au mois d’octobre 2013. Ils confèrent à la Banque centrale européenne (BCE) la supervision, directe ou indirecte, des banques de la zone euro. Il s’agit d’une avancée majeure car la BCE va pouvoir conduire en 2014 des stress tests, baptisés Asset Quality Review, sans avoir à tenir compte des considérations nationales. En effet, les autorités bancaires nationales ont eu tendance à pratiquer un nationalisme bancaire et à sous-estimer volontairement les difficultés de leurs champions nationaux. C’est la cause principale de l’échec des stress tests menés par l’Autorité bancaire européenne (ABE) en 2010 et 2011. L’intervention de la BCE, qui incarne l’intérêt européen, devrait permettre enfin de briser ce lien entre le superviseur et le souverain.

La proposition de directive sur le redressement et la résolution des banques de Juin 2012 est en phase finale de négociation. Elle introduit le principe du bail-in (renflouement interne), par lequel les actionnaires et les créanciers des établissements bancaires doivent supporter les pertes avant qu’il puisse être fait appel au souverain. Ceci devrait permettre d’éviter que les Etats membres soient forcés à nouveau d’accroître leur dette afin de sauver une banque.

Pouvez-vous nous décrire le mécanisme de résolution et nous indiquer s’il sera en mesure d’épargner aux citoyens d’avoir à renflouer comme ils l’ont  fait des banques défaillantes ?

Le mécanisme de résolution bancaire, et notamment du bail-in, est calqué sur la hiérarchie des créanciers en cas de faillite classique. Il s’agit d’appliquer des pertes d’abord aux actionnaires, puis aux créanciers juniors, puis aux créanciers seniors, c’est-à-dire les créanciers obligataires mais aussi les déposants non garantis. Les déposants garantis, jusqu’à 100 000 euros, sont eux protégés. Il s’agit d’une ligne rouge qui ne doit en aucun cas être franchise sous peine d’un risque de perte de confiance généralisée dans le système bancaire. Les Etats membres en sont bien conscients. L’erreur du premier plan de sauvetage à Chypre, où les déposants garantis avaient été directement impactés ne pourra donc plus être renouvelée.

Avec cette législation, le risque pour un Etat d’avoir à renflouer une banque défaillante deviendra réduit. Toutefois, la version adoptée en juin 2013 par le Conseil Ecofin (réunion des ministres de l'économie et des finances des 28 Etats membres de l'UE) envisage de permettre une intervention d’un Etat dès lors que 8 % des actifs ont subi un bail-in, et à hauteur maximale de 5 % des actifs. Cette flexibilité était demandée par la Suède, le Royaume-Uni et la France. Le lien ne serait donc pas rompu, mais le seuil d’intervention est très élevé. De plus, il ne s'agit que d'une option. Cette position, plus souple que celle de la Commission, ne change pas l’essentiel car 8% constitue un seuil élevé et un Etat devra faire attention à ne pas voire sa notation abaissée si son intervention est trop importante.

N’est-il pas paradoxal de voir traiter au niveau de la législation européenne la question des faillites éventuelles des banques alors qu’il n’y a pas d’harmonisation des règles en matière de règlement et de liquidation judiciaire au niveau européen ?

Non, bien au contraire, une action au niveau européen est indispensable. Les règles en matière de règlement et de liquidation judiciaires sont difficiles à harmoniser car elles reflètent de fortes divergences en faveur des créanciers ou des débiteurs. De plus, elles n’ont pas besoin d’être harmonisées car les faillites sont essentiellement nationales.

En revanche, les grands établissements de crédit ont une activité transfontalière importante, même s’il y a eu une tendance au repli avec la crise. Il est donc nécessaire d’avoir des règles harmonisées afin de limiter le risque juridique.

De plus, une approche européenne est nécessaire pour pouvoir inclure les créances seniors dans le mécanisme du bail-in. Sinon, les marchés sanctionnent sans pitié les législateurs trop vertueux mais isolés. Le Danemark en a fait l’amère expérience en 2011. Ceci explique notamment que la loi française de séparation et de régulation des activités bancaires de Juillet 2013 épargne les créanciers seniors. Il faut une approche européenne qui empêche de stigmatiser un Etat. Le marché devra plier face à une législation européenne.

Comment expliquer les résistances de l’Allemagne et quelles sont-elles ? Quelles sont les exigences de Berlin ?

L’Allemagne soutient l’Union bancaire mais est réticente sur deux points.

D’une part, elle ne souhaite pas que le pouvoir de déclencher la résolution et éventuellement la fermeture d’une banque de la zone euro soit confié à la Commission européenne, comme cela est prévu par la proposition de Juillet 2013 pour un mécanisme de résolution unique (SRM). Elle préfère que ce rôle soit assuré par un réseau des autorités nationales de résolution, c’est-à-dire implicitement par le Conseil Ecofin, et invoque l’argument d’une incompatibilité avec le Traité. En fait, la véritable raison de la réticence de l’Allemagne est son refus de permettre à la Commission de décider la résolution d’une banque allemande et notamment d’une des banques régionales(Landesbank) qui sont controlées par des hommes politiques locaux. C’est le même problème que les caisses d’épargne (Cajas) espagnoles qui avait conduit à ignorer leur situation avec les conséquences que l'on sait. L’Allemagne est heureusement isolée sur cette question, car faire intervenir les ministres des finances est la garantie de marchandages où l’intérêt européen sera à nouveau ignoré.

La seconde réticence allemande porte sur la possibilité pour le fonds de secours européen, le Mécanisme européen de stabilité (MES), de participer à un sauvetage des banques en finançant le Fonds de résolution bancaire unique (SBRF) ou en contribuant à recapitaliser celles qui seraient en difficulté après les stress test de la BCE, ce que souhaiterait la France et les pays du Sud. L’Allemagne, qui a déjà beaucoup donné pour sauver l’euro et dont le crédit soutient le MES ne veux pas s’engager sans savoir quel est le montant qu’elle risque, ni payer pour les erreurs des banques des autres Etats membres. Cette position est compréhensible et sa position devrait l’emporter. En principle le mécanisme du bail-in devrait éviter de devoir faire appel au SBRF ou aux Etats membres. Toutefois, en cas de choc systémique en Europe il pourrait lui être difficile de conserver une approche trop rigoriste sur l'usage du MES.

Le calendrier est serré. Quelles seront les conséquences d’un retard dans l’adoption de cette législation ?

L’accord de gouvernement étant acquis en Allemagne, les négociations au niveau européen devraient reprendre et se conclure au premier trimestre 2014. L’important est que les textes soient en place pour novembre 2014. Ce sera le cas.

Toutefois, le principal enjeu est l’application du mécanisme de bail-in prévu par la directive dès 2015, au lieu de 2018. La BCE le réclame avec force et elle a parfaitement raison. L'Allemagne et les Pays-Bas la soutiennent mais une majorité d'Etats membres, dont la France, sont réticents car ils craignent une hausse des coûts de financement de leur banques. C'est une politique à court terme et même dangereuse car une éventuelle nouvelle crise bancaire n’attendra pas 2018.

En attendant, les Etats membres introduisent les uns après les autres des législations prévoyant le bail-in mais l’approche est fragmentée. En effet, les résultats des stress tests de la BCE en novembre 2014 devraient conduire à des restructurations lourdes ce qui les conduit à adapter leur arsenal legislatif.

Quelle est la position des banques centrales nationales et de la BCE sur le texte ?

La BCE soutient évidemment le principe du superviseur unique, alors que les régulateurs nationaux n’étaient pas tous ravis.

En ce qui concerne la directive résolution bancaire, la BCE soutient le principe du bail-in, une hiérarchie claire dans entre les créanciers, et une application très rapide.

Enfin, la BCE souhaite que l’autorité de résolution soit la Commission et se trouve donc en conflit avec l’Allemagne.

Si le texte avait été appliqué lors de la crise bancaire en 2008, cela aurait-il changé la donne ? Aurait-on évité des nationalisations telles que celle de Dexia ou de Royal Bank of Scotland par exemple ?

Eviter toutes les nationalisations, peut-être pas au regard de des risques d’effet domino, et de l'importance des pertes de certaines banques par rapport à leur actif. Toutefois, beaucoup de nationalisations auraient pu être évitées, ou leur ampleur fortement limitée, et l’impact sur les dettes publiques aurait de toute manière été considérablement réduit.

Quels sont les textes qui seraient nécessaires au niveau mondial comme européen pour prévenir une telle crise dont nous subissons encore les conséquences?

La plupart des textes nécessaires ont été adoptés ou sont en voie de finalisation dans leur phase réglementaire. L’enjeu réside maintenant surtout dans la coopération transatlantique.

Toutefois, malgré tous ces textes, le risque systémique reste élevé. Par exemple, la taille du marché des produits dérivés négociés de gré-à-gré reste encore à un niveau beaucoup trop significatif. De plus, des risques d’instabilité importants se sont développés avec une création monétaire excessive, notamment aux Etats-Unis. Enfin, en Europe, des réformes économiques structurelles doivent être poursuivies. Sans quoi, les marchés obligataires pourraient un jour se réveiller.

Etes-vous confiant dans l’avenir de l’Europe ?

Oui, l’Europe est notre avenir et l'Union bancaire est une étape historique qui peut redynamiser l'Europe. Le processus est nécessairement lent et confus, car il s’agit d’abandons significatifs de souveraineté, mais la direction vers plus d’intégration économique, et à terme politique, est claire. La BCE et l’Allemagne ont sauvé l’euro. Toutefois, la crise économique demeure. La restructuration du secteur bancaire doit donc impérativement être engagée au plus vite pour éviter à l’Europe une situation à la japonaise et réduire le chômage.


 

Informations sur Pierre-Henri Conac
Pierre Henri Conac est professeur de droit bancaire et financier à l'Université du Luxembourg. Il est directeur du master 2 en droit financier européen et international, spécialisation en droit bancaire et financier européen (LLM).
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