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Entretien du 14/11/13
Bertrand de Largentaye
Expert auprès du Think tank Notre Europe

Le modèle social européen présente un attrait grandissant pour les Américains

 L'Europe est toujours la première puissance commerciale mais n'est-elle pas en perte de vitesse notamment face aux pays émergents ?

Oui, sans aucun doute. Il suffit de regarder les taux de croissance des "BRICS". Dans un sens d'ailleurs, cela est très souhaitable même si cela implique aussi que l'Europe doit se positionner sur des produits à plus grande valeur ajoutée pour rester concurrentielle.

L'efficacité de la politique commerciale est fréquemment mise en doute. L'Europe est taxée de naïveté...Est-ce à tort?

Oui, je m'inscris totalement en faux contre ce type de propos. Je vous renvoie d'ailleurs à ce propos à deux négociations conduites presque en parallèle avec la Corée du Sud, l'une par les USA et l'autre par les Européens. USA et Europe ont obtenu des résultats très différents : les Européens ont été plus exigeants que les américains. Par ailleurs, si l'on se réfère à la politique de la concurrence européenne, on voit bien que l'Europe peut aussi imposer ses conditions...L'Europe se défend donc très bien. C'est le cas aussi à l'OMC. Il y a beaucoup d'idées reçues en matière de politique commerciale. Les Européens ne se rendent pas forcément compte que nous avons des positions fortes dans de nombreux secteurs. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui il faut être offensif, partir à la recherche de marchés qui s'offrent à nous.

Est-ce que vous interprétez la volonté de l'Europe de faire valoir la réciprocité dans les matières commerciales comme du protectionnisme ?

La réciprocité est au cœur de la politique commerciale et ce n'est pas nouveau. Il s'agit d'équilibrer les concessions. Les libre-échangistes "purs et durs" défendent une autre approche: celle du désarmement douanier multilatéral. Cette doctrine stricte n'a pas été reprise par la Commission européenne y compris par les Commissaires britanniques d'ailleurs.

On évoque des tensions au Conseil entre les libre-échangistes et des pays en faveur de davantage de protection...

C'est vrai que les pays du Nord sont traditionnellement considérés plus libre-échangistes que ceux du Sud mais en pratique je doute que ce clivage ait un grand impact dans les négociations. Les intérêts nationaux peuvent jouer aussi. Mais il y a tout de même un consensus en Europe sur la politique commerciale.

Au regard de la multiplication des plans sociaux en particulier en France, faut-il condamner la politique commerciale européenne ?
La libéralisation est le propre de la mondialisation et cela engendre des dommages collatéraux. Les libre-échangistes vous diront que le bilan global est positif. Ceux qui y gagnent, gagnent plus que ceux que perdent les perdants. Parallèlement, des mécanismes ont été mis en place pour compenser les perdants: le "trade adjustment act" aux Etats-Unis, le Fonds d'ajustement à la mondialisation en Europe. Il faut les renforcer.
C'est vrai que ce message est plus difficile à faire passer en Europe qu'aux Etats-Unis. A cet égard, il faudrait par exemple revoir le droit des faillites en Europe...

Un accord de libre-échange UE-USA est en train d'être négocié. Quels sont à votre avis les intérêts respectifs de l'Europe à un tel accord de libre-échange?

Les États-Unis et l’Union européenne sont deux partenaires à la recherche d’un nouveau souffle économique : la crise a eu des effets délétères des deux côtés de l’Atlantique - stagnation économique, endettement public, accroissement des inégalités, montée du chômage, ce qui a accentué le contraste avec le développement accéléré de l’Asie, de l’Amérique latine et de l’Afrique, dans les pays émergents, en particulier.
Cela étant, je suis sceptique sur les avantages en matière d'emplois ou de croissance. Il ne faut pas attendre un miracle de cet accord même si certains secteurs vont tirer un bénéfice de l'harmonisation des normes. Car c'est surtout de cela qu'il s'agit.
Les relations économiques bilatérales actuelles sont marquées par des droits de douane qui sont déjà presque insignifiants (de l’ordre de 4 à 5%) - même s’il subsiste des pics tarifaires dans des secteurs comme la construction ferroviaire, les turbines, le textile, l’habillement et les chaussures, les aciers spéciaux, certains véhicules, les confitures, le chocolat ou le fromage.
Le vrai problème a trait à l’existence de barrières non tarifaires et, en premier lieu, de réglementations divergentes ; l’intégration transatlantique est déjà très avancée dans le cas des plus grandes entreprises européennes et américaines.
Pour l’Europe, le partenariat apparait comme une réponse aux inquiétudes qu’a pu susciter le « pivot » américain vers l’Asie et le Pacifique. L’UE entend aussi s'attaquer aux pratiques protectionnistes qui subsistent aux États-Unis et aux marchés publics qui y sont plus fermés qu’en Europe. Le dossier des droits de la propriété intellectuelle se heurtera également à des divergences de points de vue.
Le point le plus délicat de la négociation pourrait être l’introduction, à côté du mécanisme traditionnel de règlement des différends entre les deux partenaires, d’un mécanisme de règlement des différends entre l’investisseur privé et l’État qui accueille son investissement. Les partenaires vont devenir responsables des conséquences pour les investisseurs privés de politiques qui n’engageaient pas une telle responsabilité par le passé : cela ne manquera pas de contraindre leur marge d’initiative, plus particulièrement, peut-être, dans des secteurs comme l’environnement et la santé publique.

La volonté d'harmoniser les normes se fera-t-elle aux dépens des valeurs collectives?

Préserver les spécificités du modèle européen est un enjeu. Les préoccupations environnementales, la volonté de défendre les biens publics, la protection de la vie privée et les réserves qu’inspirent les communications transfrontalières de données sont autant de caractéristiques d’un modèle européen qui s’accordent mal avec les priorités que l’on peut prêter aux négociateurs américains. On peut en citer d’autres comme la recherche sur le vivant, les inégalités sociales, la place des services publics, les produits financiers à haut risque et la protection des données personnelles.
Mais il n’est pas interdit non plus de penser que le modèle européen, et le modèle social européen en particu¬lier, présente un attrait grandissant pour les Américains (la couverture universelle en matière de santé, obte¬nue par l’administration Obama, serait un indice intéressant de cette évolution)

Peut-on avoir une politique commerciale efficace en Europe sans politique industrielle commune ?

Plusieurs Etats membres ne sont pas en faveur d'une politique industrielle commune car ils pensent que l'Etat n'est pas capable de choisir des champions. Le projet de politique industrielle commune n'est pas une idée récente. Elle avait été soulevée par le Commissaire allemand Martin Bangemann dans les années 1990. Cette idée n'a pas été suivie.

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