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Entretien du 14/06/12
Sylvie Guillaume
Députée européenne (S&D-France)

Il ne faut pas écarter le Parlement européen du contrôle de Schengen

 Cercle des Européens: Pourquoi "Schengen" est-il en cours de révision aujourd'hui ?

Sylvie Guillaume: Avec le printemps arabe, de forts mouvements de populations ont eu lieu depuis la Tunisie vers l'Italie. Ce pays ayant manifestement soit par un manque d'organisation soit par mauvaise volonté eu des difficultés à les gérer. Par ailleurs, il y avait des élections à ce moment là et Silvio Berlusconi n'était pas en très bonne position. Berlusconi a alors d'une part accusé l'Europe de ne rien faire pour l'aider et a perçu l'opportunité électorale sur la question des frontières. Il s'est débarrassé d'une partie des immigrés sur place en leur donnant des visas, ce qui leur permettait de se déplacer dans l'espace Schengen librement.

Cela a entraîné la réaction de la France via Sarkozy et Guéant. Ils ont bloqué la frontière à Vintimille et en ré-établi les contrôles disant là aussi que l'Europe ne faisait pas son boulot. C'est la thématique de "l'Europe passoire". Du fait de la période pré-électorale, Schengen est devenu dans le discours un instrument de gestion des flux migratoires alors qu'il est seulement un espace de libre-circulation.

Pour s'en sortir, les deux chefs d'Etats ont demandé à la Commission de faire des propositions pour permettre une amélioration du fonctionnement de Schengen. Cela n'arrangeait pas à mon avis à la Commission car elle ne voit pas la nécessité formelle de changer quoique ce soit à Schengen. La Commission était cependant dès lors obligée de faire un certain nombre de propositions.

Cercle des Européens: En quoi consiste l'accord du conseil des ministres qui a eu lieu jeudi 7 juin 2012 sur Schengen ?

Sylvie Guillaume: Tout d'abord, l'un des aspects porte sur le mécanisme d'évaluation de Schengen. Les Etats membres évaluent leur propres succès ou non à leurs frontières intérieures et surtout extérieures. Or avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, on peut s'assurer qu'il y ait une meilleure surveillance démocratique de tout ça. S'est donc mis en route un rapport au Parlement, appuyé sur la proposition de la Commission, pour que le Parlement devienne co-décisionnaire. Cela éviterait que les Etats continuent à fonctionner ainsi en vase clos en la matière. Cet accord du 7 juin décidé en Conseil de Ministres, sollicitée par la présidence danoise avec un fort soutien allemand, refuse que la base légale de Schengen permette l'association du Parlement sur le mécanisme d'évaluation.

Cercle des Européens: En quoi la mise à l'écart du Parlement européen n'est pas justifiée alors que certains pays de l'Union européenne ne sont pas dans Schengen ?

Sylvie Guillaume: C'est la justification apportée par les ministres qui ont pris la décision. On peut prendre les choses à l'inverse sur ce pilier européen, un des plus reconnus et des plus appréciés, la libre-circulation des personnes. Comment peut-on imaginer que le Parlement, représentation entière des peuples, soit écarté de ce sujet ? C'est complètement paradoxal.

Cercle des Européens: Autre sujet sensible dans cet accord, le rétablissement des frontières intérieures durant un temps limité par un Etat en cas "d'évènement exceptionnel"...

Sylvie Guillaume: Pour des circonstances prévisibles, les Etats peuvent prendre une décision unilatérale de rétablissement des contrôles aux frontières. On l'a vu récemment avec des événements sportifs du type Euro 2012 ou la réunion récente de la BCE en Espagne. Cela a déjà fonctionné une trentaine fois.

La Commission par le biais de Mme Malmström demande le rétablissement des frontières intérieures soit plus encadré au niveau européen dans les cas d'événements imprévisibles afin d'éviter des décisions unilatérales, davantage guidées par des questions de politique intérieure, comme on l'a vu avec la décision du Gouvernement Sarkozy de fermer la frontière à Vintimille l'année dernière. Il y a eu beaucoup de discussions et manifestement une partie des Etats estime qu'il est hors de question de soumettre une telle décision au niveau communautaire.

A la base de cette modification, il y a un événement déclenchant : le printemps arabe. Ce ne devrait pas être la justification pour apporter des modifications à Schengen, car ce n'est pas un outil de gestion des frontières. Cela aboutit à une décision unilatérale qui écarte la représentation démocratique, le Parlement européen, de tout contrôle sur Schengen. Il y a une sorte de double-peine.

Cercle des Européens: Autre sujet sous-jacent: la peur que la crise en Grèce ne transforme sa frontière avec la Turquie en passoire. Pourquoi ne donne-t-on pas à l'Europe les moyens d'assurer la protection des frontières quand un Etat est affaibli ?

Sylvie Guillaume: Le 20 mai dernier le bulletin de santé de Schengen, un document d'une vingtaine de pages publié par la Commission expliquait qu'il n'y a pas de faiblesse majeure ou de défaillance majeure dans l'espace Schengen justifiant des modifications. En revanche nous savons il y était noté que la frontière greco-turque concentrait la grande majorité des passages clandestins de migrants. Par conséquent, un effort particulier devait être fourni à cet endroit.

Pour moi, la meilleure conclusion à tirer de ce bulletin de santé de Schengen est de renforcer la solidarité à l'égard de la Grèce, tout spécialement dans la phase économique et sociale qu'elle vit actuellement. Je ne vois pas comment en rétablissant le contrôle aux frontières en Autriche, ilpourrait y avoir un impact sur le passage de l'Evros par des migrants venant du Pakistan. Il y a un paradoxe dans le raisonnement des Etats membres.

La bonne réponse n'est donc pas dans la fermeture des frontières intérieures en raison d'une défaillance à une frontière extérieure mais dans quelle solidarité on met en oeuvre en terme de ressources humaines, moyens financiers et d'organisations, d'expertise sur la zone concernée.

Cercle des Européens: Ce changement de base juridique a été validé par un gouvernement socialiste. Comment expliquez-vous que M. Valls, très critique à l'époque de M. Sarkozy, ait validé ce texte ?

Sylvie Guillaume: Cette décision intervient très tôt dans les débuts de ce gouvernement. La présentation faite par les Danois d'une forme d'unanimité déjà trouvée grâce à la pression allemande a peut-être incité la France à ne pas se singulariser. J'ai trouvé ça assez ennuyeux objectivement car c'est une décision symbolique vis-à-vis du Parlement européen. C'est un contexte et une façon un peu cavalière d'entrer dans un lien avec le Parlement européen.

Néanmoins, il faut noter qu'on part d'assez loin dans la position des autorités françaises... Fin avril de cette année, les ministres allemand et français (M. Guéant à l'époque) dans un courrier commun réclamait l'exclusion des pays défaillants aux frontières extérieures de Schengen !

Je ne suis pas très satisfaite pour autant de cette décision et j'espère qu'elle n'est qu'intermédiaire. Le Parlement européen et son président Martin Schulz ne réagissent pas très bien à ça. On s'interroge sur la saisine de la Cour de Justice ou un éventuel retrait de cette proposition. Les décisions ne sont pas totalement finalisées sur ce sujet. Je ne désespère pas qu'on ne puisse convaincre nos gouvernements à revenir à quelque chose de beaucoup plus censé. 


 

Informations sur Sylvie Guillaume
Députée européenne de la liste socialiste du Grand Sud Est depuis juin 2009, Sylvie Guillaume est membre titulaire de la commission parlementaire LIBE, qui traite des questions de Libertés civiles, de Justice et des Affaires Intérieures. Elle travaille particulièrement sur les dossiers concernant l’harmonisation européenne du droit d’asile et les droits de l’homme. Elle est depuis décembre 2009 rapporteur sur la directive des procédures d’octroi du statut de réfugié. Elle est également membre suppléante de la commission FEMM (Droits des Femmes et Égalité des genres), suite logique à son engagement sur la question puisqu'elle avait été Secrétaire Nationale du PS déléguée à l’égalité Hommes-Femmes de 1995 à 1997.

En janvier 2012, elle est élue Vice-Présidente du groupe Socialistes & Démocrates au Parlement européen, déléguée à l’Europe des citoyens (Libertés civiles, Justice, Affaires Intérieures, Affaires constitutionnelles, Affaires juridiques et Pétitions) et pilote également à ce titre une mission sur la mobilisation de la jeunesse envers les enjeux européens. Dans le cadre de la campagne présidentielle de 2012, dans l’équipe de François Hollande, ele s'occupait des questions d’immigration.
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