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Entretien du 26/02/09
Jean-Sylvestre Mongrenier
Chercheur à l'Institut Thomas More

L’OTAN pourrait déployer un système de défense complémentaire du système antimissile américain

 En 2008, les gouvernements tchèque et polonais ont signé avec les Etats-Unis un accord pour l’installation d’éléments du bouclier antimissile américain sur leurs sols. Le Parlement tchèque doit encore se prononcer sur ce projet – question liée à la ratification du Traité de Lisbonne – tandis que le Président Barak Obama a décidé de réexaminer le projet de défense antimissile.

Le Cercle des Européens : Quelle est l’origine du projet américain de Missile Defense et les raisons stratégiques de l’implantation d’éléments du bouclier antimissile américain en Europe centrale ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Si l’on raisonne sur des temps courts, c’est le projet de National Missile Defense, lancé lors du second mandat de Bill Clinton, en 1999, qui est à l’origine de la Missile Defense. L’idée d’une défense antimissile du territoire américain s’impose suite aux essais nucléaires pakistanais et indiens, en mai 1998. Cette même année, la Corée du Nord lance un missile balistique au-dessus de l’archipel japonais, faisant ainsi montre de ses capacités. C’est alors que la question des antimissiles devient une priorité politico-stratégique des Etats-Unis. En 1998, le Congrès charge le Pentagone de penser la protection du territoire des Etats-Unis et le projet de National Missile Defense est lancé l’année suivante. Une fois mise en place, l’Administration Bush privilégie une architecture d’ensemble permettant tout à la fois de répondre aux exigences du Congrès et à celles des alliés des Etats-Unis, européens notamment (mais aussi asiatiques), pour éviter un découplage stratégique entre les deux rives de l’océan Atlantique. Etendu à certains des alliés des Etats-Unis, OTAN et « non-OTAN », le projet de National Missile Defense devient la Missile Defense.

Cela dit, les efforts déployés par les Etats-Unis s’inscrivent dans la durée et l’on peut distinguer trois cycles de développement. Dès 1946, l’US Air Force lance un programme de recherche (« Wizard »), en réaction aux V-2 allemands, pour concevoir des moyens d’interception mais c’est au milieu des années 1950 que le premier cycle est véritablement amorcé et il se « déroule » jusqu’au début des années 1970. Programmes de recherche, projets de déploiement et débats intellectuels animent ces années centrales de la Guerre froide. Au final, le projet Safeguard (1969) est axé sur la protection des missiles intercontinentaux américains (ICBM) et le traité ABM (Anti Ballistic Missiles) de 1972 vient limiter les déploiements de ces systèmes d’armes de part et d’autre (Etats-Unis et URSS). Le déploiement effectif, dans le Dakota du Nord, couvre une dizaine de mois.

Le discours de Ronald Reagan sur l’Initiative de défense stratégique (IDS), le 23 mars 1983, lance le second cycle. Ce projet futuriste (un monde post-nucléaire) s’inscrit dans une stratégie globale d’attrition du système soviétique, miné par ses contradictions internes et épuisé par des décennies de confrontation avec l’Ouest. Avec la fin de la Guerre froide, l’implosion du bloc soviétique et la dislocation de l’URSS, les objectifs et les budgets alloués à l’IDS sont revus à la baisse et la première Administration Clinton met fin à cette entreprise globale (1993). Priorité est donnée aux systèmes antimissiles de théâtre (protection de sites sensibles et des zones de déploiement de corps expéditionnaires). En 1991, la Guerre du Golfe vient illustrer l’urgence de ce défi militaire (voir le duel des « Scud » irakiens et des « Patriot » américains).

Le troisième cycle est amorcé en 1999, comme précédemment indiqué, et la Missile Defense (défense de territoire) est entrée dans une phase opérationnelle avec le déploiement de systèmes antimissiles à Fort Greely, en Alaska, et sur la base de Vandenberg, en Californie (intercepteurs et systèmes-radar), installations auxquelles il faut ajouter un réseau de satellites d’alerte avancée et de bases-radar, réseau d’envergure planétaire, ainsi que d’étroites coopérations bilatérales avec le Japon et Israël (les Etats-Unis développent aussi des systèmes antimissiles de théâtre avec l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et l’Espagne). Le déploiement de systèmes américains en Pologne (une dizaine d’intercepteurs dans le nord de la Pologne, à Redzikowo ; un radar de suivi des trajectoires en République tchèque, à Brdy) s’inscrirait dans cette architecture globale. Les lieux d’implantation de cette composante de la Missile Defense sont situés sur la trajectoire d’un missile en provenance du Moyen-Orient. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

Après la signature entre les Etats-Unis et les gouvernements tchèque et polonais, en juillet et août 2008, des accords d’installation sur leur sol de ce bouclier, précisez-nous les grands enjeux de ce projet.

Les enjeux et raisons d’être de ce projet recouvrent ceux de la Missile Defense en général, à savoir la refondation de la dissuasion globale face à des Etats proliférateurs (l’Iran au Moyen-Orient et la Corée du Nord en Asie orientale), voire face à d’autres d’acteurs anomiques, type techno-guérillas et mouvements terroristes. Il faut insister sur la réalité de la prolifération nucléaire et balistique. L’Iran n’a pas mis fin à son programme d’enrichissement de l’uranium et renforce ses capacités balistiques ; la mise sur orbite d’un satellite par une fusée iranienne (le « Safir-2 »), le 2 février 2009, témoigne de la puissance de ses lanceurs. D’ores et déjà, l’Europe du Sud-Est est à portée de tir. On ne peut que s’en inquiéter.

Par ailleurs, la nucléarisation militaire de l’Iran ne manquerait pas de relancer la prolifération dans l’ensemble du Moyen-Orient (la Turquie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Syrie ?), avec de possibles contrecoups dans le bassin occidental de la Méditerranée. Bref, le régime de non-prolifération serait caduc. En Asie orientale, le régime nord-coréen est toujours menaçant et il préparerait un nouvel essai balistique pour attester de ses capacités intercontinentales (mars 2009 ?). A Téhéran comme à Pyongyang et dans bien d’autres capitales, la diplomatie de la main tendue et les mots clefs de la langue de coton (« dialogue », « respect » et « ouverture à l’Autre ») sont interprétés comme des signes de faiblesse.

D’une manière générale, il faut insister sur la réalité et la gravité des phénomènes de prolifération. Deux chiffres pour illustrer ces processus : en juillet 2002, un groupe d’experts gouvernementaux travaillant sous l’égide des Nations unies avançait le chiffre de 120 000 missiles balistiques dans le monde contre 35 000 dix ans plus tôt. Les choses ne se sont guère arrangées depuis, c’est une litote, et la situation stratégique dans laquelle l’Etat d’Israël est plongé - on ne peut exclure que les roquettes du Hezbollah, voire du Hamas, ne soient un jour remplacées par des engins à plus longue portée -, nous donne quelque idée des menaces à anticiper. Les systèmes antimissiles ne sont certes qu’une partie de la réponse mais ils constitueraient une option supplémentaire entre les mains des décideurs politiques, en sus du jeu diplomatique (pressions et sanctions d’une part, offres de coopération de l’autre), des logiques de maîtrise des armements et du renforcement des régimes de non-prolifération (Traité de non-prolifération pour le nucléaire ; MTCR pour le contrôle des technologies balistiques). Enfin, il s’agit de repenser la dissuasion globale, fondée sur une combinaison de moyens nucléaires, de moyens conventionnels et de systèmes antimissiles. Les technologies antimissiles sont entrées dans une phase de maturité et les objectifs de la Missile Defense sont clairement circonscrits ; il ne s’agit plus de « désinventer » l’arme nucléaire. Toutefois, ne négligeons pas la possibilité d’une rupture technico-stratégique (voir les recherches en cours sur des lasers embarqués).

Ce projet profite-t-il aux Etats-Unis ou a-t-il de l’intérêt pour l’Europe ?

J’adresserais deux remarques préliminaires. La première porte sur le « ou » exclusif ; la question est de savoir si l’installation en Europe centrale de systèmes antimissiles américains repose sur des intérêts partagés. Si tel est le cas, ce projet doit être soutenu par l’ensemble des pays membres de l’OTAN puisque c’est dans cette instance euro-atlantique que les pays européens (le plus grand nombre du moins) organisent leur défense mutuelle, en étroite alliance avec l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada). La seconde porte sur la notion d’« intérêt », fortement galvaudée. Elle ne recouvre qu’une partie des logiques internationales et amène l’observateur à négliger les ressorts profonds de l’action humaine (voir le rôle des « passions », tristes ou joyeuses). L’anthropologie de l’homo oeconomicus ne permet de comprendre qu’une partie du réel et ne suffit pas à saisir les raisons d’agir des acteurs économiques. La redécouverte, à peine amorcée, de l’œuvre de Gabriel Tarde (voir sa Psychologie économique, publiée en 1902) peut féconder d’autres champs de recherche que celui de l’économie [1]. Dans les relations politiques internationales, où l’ « état de nature » (au sens d’insécurité endémique) persiste, la peur, le désir et la volonté de dominer, la gloire et la quête d’immortalité ne doivent pas être oubliés. Les « affaires » ne seront peut-être pas la grande affaire de la première moitié du XXIe siècle.

Les logiques de prolifération balistique et nucléaire, aux portes de l’Europe, sont grosses de menaces et il faut donc prendre au sérieux les enjeux liés au déploiement de systèmes antimissiles. Il me semble que le temps du déni, voire du ricanement ou de la démonisation, est dépassé. La Missile Defense n’est pas un complot contre la force de frappe française ou la défense européenne, cette dernière demeurant un vague projet et non point une réalité menacée (ne confondons pas Europe de la défense et défense de l’Europe). En l’état actuel des choses, les pays membres de l’OTAN (très largement européens) prennent au sérieux les menaces liées aux programmes iraniens, à la prolifération en général. En 2002, ils ont lancé une série d’études sur ces questions (évaluation des menaces, faisabilité d’une défense de territoire, etc.). Le 14 juin 2007, les ministres de la Défense de l’OTAN ont, à l’unanimité, apporté leur soutien au déploiement de systèmes américains en Europe centrale et ce soutien a été réaffirmé lors du sommet de Bucarest, les 2-4 avril 2008. Un programme de l’OTAN, l’ALTBMD (Active Layered Theater Ballistic Missile Defense), vise par ailleurs à fédérer les efforts des uns et des autres dans le domaine des antimissiles de théâtre.

Sauf à croire que le « respect de l’autre » ne vaudrait pas pour nos voisins et alliés, dont les gouvernements et les organismes de défense seraient « dans la main » des Américains, il y a tout lieu de penser que les pays européens partagent avec les Etats-Unis de véritables enjeux de sécurité dans cette configuration géostratégique émergente. On peut même considérer que les menaces inhérentes au possible basculement du Moyen-Orient dans la prolifération sont autrement plus pressantes pour les pays européens que pour les Etats-Unis. Répétons-le : l’Europe est à portée de tir alors que les Etats-Unis ont plus de recul, et par là même une liberté d’action plus grande. C’est leur statut de puissance, de la Méditerranée orientale au golfe Arabo-Persique, et leur dispositif géopolitique (liens bilatéraux, coopération militaire avec le Conseil de coopération du Golfe, bases navales et aériennes) qui sont en jeu ; pas (encore) leurs œuvres vives et leur approvisionnement énergétique direct (le Moyen-Orient pétrolier représente 11-12% de leurs importations, ce qui n’est certes pas négligeable).

Pour autant, la réalité des risques et menaces liés à la prolifération des armes de destruction massive, ainsi que la claire perception de communs enjeux de sécurité entre pays de l’ensemble euro-atlantique, ne doivent pas conduire les nations européennes à rechercher la simple protection d’un « parapluie » de systèmes antimissiles américains. C’est certainement l’un des problèmes de la Missile Defense ; elle serait octroyée aux pays alliés alors que les enjeux requièrent une démarche active et volontaire. Il faut savoir que certains pays européens développent des programmes de systèmes antimissiles, dans le domaine des défenses de théâtre (moyens mis en cohérence dans le programme ATLMD, précédemment mentionné). Voir, entre autres, les coopérations entre Américains, Allemands et Italiens (MEADS) ou encore les coopérations franco-italiennes (SAMP-T). La France est particulièrement engagée dans ce domaine, avec le lancement de deux satellites d’alerte avancée (Spirale-A et Spirale-B), des démonstrateurs technologiques, en février 2009. C’est à partir de ces diverses compétences nationales et européennes que l’OTAN pourrait déployer un système de défense du territoire complémentaire de la Missile Défense, celle-ci ne protégeant pas les flancs sud-est de l’Alliance (Sud-Est européen et Turquie). D’une manière générale, il serait souhaitable d’utiliser le temps de réexamen par l’Administration Obama de la Missile Defense pour « ramener » ces questions au sein de l’OTAN, mais le multilatéralisme atlantique ne doit pas être le prétexte à diluer et délayer les enjeux de sécurité.

Que l’on parle de l’OTAN ou de la PESD (Politique européenne de sécurité et de défense), il faut bien se rappeler que les capacités appartiennent aux nations et elles en disposent librement. C’est par ce biais que la question de la décision d’emploi des antimissiles doit être abordée. A juste titre, cette importante question est mise en avant mais elle ne doit pas occulter la réalité des menaces émergentes. Si l’on considère les choses depuis l’Europe, il n’y a pas de décideur unique et la décision de tir devrait être prise en dix minutes tout au plus, ce qui implique des délégations. Au regard des contraintes susmentionnées, ce qui importe en dernière instance n’est pas tant la décision en temps réel que ce qui est décidé en amont (les règles d’engagement), au niveau politico-stratégique. Pour l’essentiel, ces décisions en amont seraient prises par les nations alliées disposant d’une capacité de compréhension d’ensemble de la problématique (analyse et modélisation des situations, compétences technico-stratégiques) et des systèmes d’engagement (antimissiles, radars, satellites). Pour compter, il faut peser en amont de la bataille balistique et donc investir dans ces domaines, sur le plan humain, financier et technologique. L’Agence européenne de Défense (AED) aurait peut-être un rôle à jouer, via sa démarche capacitaire, mais il faudrait en décider collectivement et lui accorder les moyens financiers requis.

La Russie, qui avait annoncé en guise de rétorsion le déploiement de missiles Iskander à Kaliningrad (et semble y renoncer) va-t-elle laisser faire ?

Outre le possible déploiement de missiles Iskander dans l’ancienne Königsberg (une enclave à l’intérieur de l’ensemble euro-atlantique), de nombreux dirigeants russes, jusqu’au sommet du pouvoir, ont proféré moult menaces à l’encontre de la Pologne et de la République tchèque ainsi que des Pays baltes. La chose est inquiétante et, à ma connaissance, aucun pays membre de l’OTAN et de l’UE n’a menacé la Russie ou un autre pays membre de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective). Les Alliés doivent bien entendu prendre en compte la Russie, sa perception des choses et ses réactions possibles – la stratégie ne s’exerce pas sur une masse morte, abstraction faite de l’espace-temps – mais il ne saurait être question de lui reconnaître un droit de regard, et moins encore un droit de veto implicite, sur les choix de l’OTAN en matière de défense, de sécurité ou d’élargissement. Si les pays appartenant à l’OTAN estiment que les antimissiles sont essentiels pour la défense de leurs territoires, ils se doivent d’aller de l’avant. La question est de savoir s’il faudrait laisser l’Europe à découvert, en contrepartie d’une incertaine coopération Russie-OTAN en Afghanistan et dans la gestion de la crise nucléaire iranienne. Pour ce qui est de l’Iran, la Russie n’est rien moins que sûre ; Moscou et Téhéran ont développé un partenariat géopolitique global au cours des quinze ans passés (un « pacte de coopération civile et militaire » a été signé en 2001) et il faudra suivre avec attention le dossier des S-300 (des systèmes antiaériens virtuellement vendus à Téhéran). Quant à l’Afghanistan, le jeu russe dans la fermeture de la base de Manas (Kirghizstan) aux forces de l’OTAN, en guise de réponse aux ouvertures américaines, ne peut être vu comme un signe de bon augure.

Venons-en à la position russe sur la Missile Defense, position passablement contradictoire si l’on s’en tient à une approche technico-stratégique. Notons tout d’abord la grande discrétion de Vladimir Poutine lorsque George W. Bush annonce, en décembre 2001, que les Etats-Unis se retirent du traité ABM de 1972 (la décision est effective en juin 2002). Pour prix de sa coopération étroite dans le cadre de la « Global War on Terror », la Russie obtient de larges concessions dans le traité SORT (sur les armements nucléaires stratégiques), une réserve toute de pudeur des Occidentaux vis-à-vis des méthodes de guerre déployées en Tchétchénie, des partenariats resserrés (avec les Etats-Unis et l’OTAN). Il semble que Vladimir Poutine pensait obtenir de surcroît la reconnaissance d’une sphère d’influence russe dans l’espace ex-soviétique, ce qui n’a pas été le cas. Serait-ce là l’origine de l’ire des dirigeants russes ?

Les « révolutions de couleur » géorgiennes et ukrainiennes (2000-2004) ont notoirement été la cause d’une grande peur parmi les dirigeants russes qui ont dénoncé une forme de coup d’Etat (accusation sans preuves, parfois relayée en Europe). La perspective de reconstitution d’une sphère d’influence russe dans la CEI s’est alors dissipée et les dirigeants russes ont commencé de craindre de tels événements à Moscou même. Le durcissement est patent et le discours de l’ « étranger proche », un temps éclipsé par l’ouverture de bases centre-asiatiques aux forces de l’OTAN, revient au premier plan. Soyons en tout cas assurés que les réponses à la véhémence des dirigeants russes ne relèvent pas d’une forme de psychothérapie visant à apaiser un ego tuméfié (les choses seraient trop simples) ; l’actualité internationale, dans l’espace ex-soviétique comme en Iran et en Corée du Nord, a déjà invalidé ce type de lecture. Pouvait-on sérieusement croire que la formation à l’analyse transactionnelle allait remplacer la lecture des « classiques », depuis Hérodote et Thucydide jusqu’à Raymond Aron et Julien Freund ?

En fait, les protestations véhémentes des dirigeants russes portent sur le « troisième site » de la Missile Defense, en Pologne et en République tchèque, et les systèmes qui pourraient y être déployés sont présentés comme une menace pour les forces nucléaires stratégiques nationales ; ils auraient pour but d’intercepter les ICBM (missiles sol-sol intercontinentaux), composante principale de ces forces. Selon Moscou, l’extension à l’Europe de la Missile Defense s’inscrirait dans une stratégie américaine de première frappe qui viserait à interdire à la Russie toute riposte et remettrait en cause la dissuasion. Les Etats-Unis passeraient ainsi de la « destruction mutuelle assurée » à la « destruction unilatérale assurée ». Cette argumentation est spécieuse. On ne peut affirmer qu’une dizaine d’intercepteurs serait en mesure de neutraliser le puissant arsenal nucléaire russe ; politiques et experts russes ne cessent de le marteler. Par ailleurs, Vladimir Poutine ne se serait pas montré hostile à des implantations en Europe occidentale ou à des systèmes embarqués sur mer ; il ne semble pas non plus se soucier d’installations-radars héritées de la Guerre froide (au Royaume-Uni, au Danemark/Groenland et en Norvège), qui sont parties prenantes de la Missile Defense, plus en phase avec un très hypothétique scénario américain de première frappe sur des objectifs russes. Dès lors, on s’interroge sur les ressorts profonds des prises de position russes. Le Kremlin ne chercherait-il pas à perpétuer une forme de doctrine Brejnev sur des pays autrefois satellisés ? Les dirigeants russes pourraient bien chercher à préserver des marges de manœuvre en Europe centrale et introduire un « coin » entre les pays alliés, en escomptant une éventuelle dislocation de l’OTAN et un repli des Etats-Unis sur l’« hémisphère occidental ».

Que pourrait donc faire la Russie en riposte au déploiement de systèmes antimissiles américains en Europe ? Sa diplomatie est déjà à l’œuvre : diviser les Alliés, jouer sur les clivages internes à l’OTAN et privilégier les relations bilatérales avec les pays plus accommodants, tenter de reprendre le contrôle du Caucase du Sud et de l’ensemble de l’espace-CEI, renforcer ses relations avec l’Iran au prétexte de jouer les intermédiaires. Ce serait une erreur de penser qu’il suffit de dénoncer l’Administration Bush (éminent signe d’intelligence) pour apaiser la Russie et trouver un modus vivendi avec ses dirigeants. Ceux-ci ont une vision bien précise de l’avenir de leur pays, il suffit de les écouter, et ils exploiteront toutes les opportunités pour faire pencher la balance du pouvoir de leur côté. Un recul sur les antimissiles serait perçu comme un signe de faiblesse et il viendrait valider la politique russe d’intimidation. Il y a certainement des marges de négociation mais la diplomatie ne peut dissoudre les rapports de puissance. Pas d’angélisme donc.

Quelle va être la position du Président Obama face aux Russes qui préconisent maintenant un bouclier antimissile « tripartite » entre la Russie, l’Europe et les Etats-Unis ?

Je serais bien en mal d’anticiper les décisions de l’Administration Obama sur ce plan. Pendant sa campagne électorale, l’actuel président des Etats-Unis est resté flou : la Missile Defense serait poursuivie si elle était « faisable » (« workable ») à un coût financier raisonnable. C’est ce que le vice-président, Joe Biden, a répété à Berlin, en ce début de mois (février 2009). Il a aussi affirmé que les Etats-Unis ne pourraient accepter une sphère d’influence russe dans l’espace ex-soviétique. Cela dit, j’imagine difficilement les Etats-Unis renoncer à la Missile Defense et ce alors que ce programme est entré dans une phase opérationnelle (voir les systèmes installés en Alaska et en Californie). Il faut savoir que la Missile Defense n’absorbe qu’entre 1 et 2% du budget de défense, ce qui est beaucoup pour un programme de recherche-développement mais représente des sommes finalement limitées lorsqu’elles sont rapportées à la totalité des dépenses militaires américaines. Aujourd’hui, les deux-tiers du budget de la Missile Defense (environ 10 milliards de dollars par an) sont affectés à des déploiements. C’est le « troisième site », et donc la défense des territoires européens contre des missiles d’Etats proliférateurs, qui est en jeu. Cela nous ramène à une question précédemment abordée : l’Europe peut-elle rester à découvert ? Outre les Etats-Unis, Israël et le Japon, sans omettre la Russie, investissent dans les défenses antimissiles …

En fait, l’Europe vit déjà avec un système global antimissile, celui que la « Russie-Soviétie » a déployé lors de la période dite de « détente ». Aux Etats-Unis, les antimissiles auront longtemps été une passion intellectuelle, avec des débats stratégiques nourris, qui n’aura que tardivement abouti à un déploiement opérationnel (« Safeguard » n’a été déployé que dix mois, en 1975-1976). Pour sa part, Moscou a lancé des programmes de recherche dès 1953, les premiers systèmes sont opérationnels dans les années 1960 et le réseau « Galosh » (avec des intercepteurs à charge nucléaire) est déployé en 1972. Cette architecture a été modernisée dans les années 1980 et une série d’essais a eu lieu en 2006. L’ensemble mobilise des technologies vétustes au regard des avancées américaines - un collègue chercheur, Michel Guénec [2], met bien en évidence ces réalités – mais il n’en reste pas moins que les antimissiles russes existent. L’architecture globale incorpore des radars déployés notamment en Biélorussie et en Ukraine (les bases-radar russes d’Ukraine devraient être fermées), au contact de la zone-OTAN, sans que l’on ne s’inquiète des noirs desseins de la Russie. Et dix intercepteurs en Pologne, un radar en République tchèque, viendraient bouleverser la donne stratégique ?

Quant à la proposition d’un système global antimissile, sur une base tripartite, elle n’est pas nouvelle. Le Conseil OTAN-Russie a précédemment exploré les voies d’une coopération dans les domaines des systèmes de théâtre. En juin 2007, Vladimir Poutine avait proposé la base-radar russe de Gabala, en Azerbaïdjan, comme option alternative à un radar tchèque. Il s’agissait là d’un contre-feu, d’autant que les Russe devraient se retirer de cette base lorsque le radar d’Armavir, dans le Caucase du Nord, sera pleinement opérationnel. Pour sa part, l’Administration Bush a tenté des ouvertures et cherché la voie d’un compromis (activation des installations centre-européennes indexée sur le degré d’avancement du programme nucléaire iranien ; présence de délégations russes sur les sites polonais et tchèques). Les secrétaires d’Etat et à la Défense, Condoleezza Rice et Robert Gates (toujours en place), se sont rendus à Moscou en 2007 pour tenter de négocier avec la partie russe. En avril 2008, Georges W. Bush et Vladimir Poutine ont tenu un dernier sommet bilatéral à Sotchi et ils ont évoqué la possibilité d’un système global Etats-Unis/OTAN/Russie.

Présentement, nous sommes dans une phase d’indétermination et d’observation, sur ce plan du moins, mais on peut être sceptique quant à un tel projet. La coopération semble déjà difficile à penser et organiser au sein de l’OTAN, entre pays alliés ; a fortiori dans le cadre d’un « partenariat conflictuel » avec la Russie, alors que bien d’autres conflits sous-tendent les relations russo-occidentales. Que l’on songe simplement à la situation en Géorgie, avec ses répercussions sur les politiques orientales de l’Union européenne (Politique européenne de voisinage, Partenariat oriental, Politique commune de l’énergie). Si des coopérations concrètes entre les Alliés et la Russie devaient voir le jour, elles porteraient sur le partage de l’information, la fusion du renseignement et la mise en œuvre de mesures de confiance et de sécurité. Ce serait déjà beaucoup.

Le prochain sommet de l’OTAN (à la frontière franco-allemande entre Strasbourg et Kehl) en avril 2009 marquera le retour de la France dans le commandement intégré de l’Organisation. Quelle est votre appréciation de cette décision française ? Est-ce un vrai tournant ?

Cette décision française s’inscrit dans le prolongement de décisions qui ont été prises dans les années 1990, avec l’engagement d’unités nationales sous les couleurs de l’OTAN en ex-Yougoslavie, le retour dans le Comité militaire de l’OTAN en 1995, la décision de pleinement participer au projet de Force de réaction (Nato Response Force) en 2002, l’« insertion » de 107 officiers et sous-officiers français dans les commandements intégrés de l’OTAN en 2005. A certains égards, il faudrait même remonter aux années 1980 pour mettre en perspective ce qui se joue aujourd’hui. Par exemple, l’exercice « Moineau hardi » (1987), alors présenté comme un exercice strictement franco-allemand, s’inscrivait dans des manœuvres plus larges organisées dans le cadre de l’OTAN. Par ailleurs, Jacques Chirac avait entamé, en 1996, une négociation sur la pleine participation de la France à la structure militaire intégrée de l’OTAN. Elle avait achoppé sur les exigences françaises (le commandement régional de Naples) et les conséquences politiques intérieures de la dissolution de l’Assemblée nationale (1997). Je n’ai pas souvenir de grandes indignations nationales ou de remontades patriotiques stigmatisant cette tentative chiraquienne.

Indéniablement, l’histoire du rapport de la France à l’OTAN au cours du dernier quart de siècle révèle de fortes continuités. Si rupture il y a, c’est dans l’ordre des représentations et des rhétoriques, l’OTAN ayant trop longtemps été présentée comme une chose lointaine, un simple outil américain, alors que la France en participe depuis les débuts. Rappelons simplement le rôle joué par la diplomatie française dans la signature de l’Alliance atlantique et la mise en place de l’OTAN, qui sont en fait une seule et même chose. A l’intérieur de l’OTAN, les décisions se prennent à l’unanimité et les capacités militaires relèvent des pays membres. Par exemple, aucun pays membre de l’OTAN n’a été contraint de participer aux opérations en Irak et ceux qui y sont allés ont incorporé une « coalition de bonnes volontés ». Une fois encore encore, défions-nous des procès d’intention et de la mauvaise foi.

Au total, je trouve quelque peu insultant pour nos alliés et partenaires de laisser à penser que tous les pays membres de l’OTAN, sauf un, seraient de simples jouets entre les mains des Etats-Unis. Hormis la France, jusqu’à ce jour du moins, les autres pays seraient-ils donc affectés de diverses tares intellectuelles et/ou morales ? Principale puissance européenne, l’Allemagne dépêcherait quelque 1200 officiers et sous-officiers dans les structures militaires intégrées par seul souci de plaire aux Etats-Unis ? Cette même Allemagne, qui refuse de suivre Washington quant à l’élargissement de l’OTAN à l’Est (Géorgie et l’Ukraine) et se montre rétive à l’envoi de ses forces armées en Afghanistan (avec des règles d’engagement plus « musclées ») ? Allons donc ! L’OTAN est le point d’équilibre géopolitique entre nations européennes et c’est en son sein que la majeure partie d’entre elles organise leur défense mutuelle. Si l’on veut effectivement ouvrir un espace pour le renforcement de la PESD, il faut accepter ce fait primordial. Les « pères de l’Europe » étaient aussi des « atlantistes », ce n’est pas là une coïncidence malheureuse, et ce fait est trop souvent passé sous silence. Peut-on prétendre donner une forme politique et militaire à l’Europe sans les Européens et en ignorant les équilibres géopolitiques pan-occidentaux ?

Remarquons par ailleurs qu’en France, certains des contempteurs les plus virulents de l’OTAN sont aussi très opposés à l’UE. L’invocation d’une « autre Europe » est parfois le paravent d’une « Europe-France » qui relève d’un discours autoréférentiel. La France aurait-elle la puissance et la légitimité nécessaires pour fédérer l’Europe autour d’elle ? Voici plusieurs décennies que les réponses ont été apportées. Aucun allié européen ne quittera l’OTAN pour rejoindre la France qui, pour sa part, s’est d’ailleurs bien gardée de sortir entièrement des structures civiles et militaires ; De Gaulle voulait non pas détruire l’OTAN mais faire reconnaître la France comme « troisième grand » au sein de l’Alliance. Ou encore prendre la tête d’un ensemble ouest-européen pour rehausser la France dans son rapport aux Etats-Unis. Le contexte géopolitique n’est plus le même. Il n’existe pas de « martingale » qui permettrait à Paris de prendre la tête d’une « Europe européenne » et certains des opposants à la pleine participation de la France aux structures militaires intégrées n’ont pas été aux avant-postes pour redresser la situation nationale, dans le domaine militaire comme dans d’autres.

Enfin, si les rivalités et désaccords entre Alliés menaçaient l’existence même de l’OTAN, il n’y a guère de raison de penser que l’UE s’imposerait comme recours sur le plan militaire. Ces deux organisations sont liées par de larges intersections et l’on voit mal pourquoi des pays qui ne parviendraient plus à s’accorder au sein de l’OTAN tomberaient dans les bras les uns des autres lorsqu’ils se retrouveraient au sein de l’UE. Observons simplement les difficultés rencontrées pour conjuguer les positions des pays membres de l’UE sur le plan économique (pas de plan européen de relance) ou énergétique (pas de véritable politique commune). En l’absence de leadership américain, le tout est souvent moins que la somme des parties et l’on imagine difficilement ces pays aller à la guerre ensemble, puisqu’en dernière instance c’est de cela qu’il s’agit. Bien vite, le « chacun pour soi » pourrait l’emporter.

Reste que le leadership des Etats-Unis n’est pas une donnée éternelle tandis que les centres de gravité de la géostratégie américaine se déplacent vers l’Asie. Ainsi la priorité que la nouvelle Administration accorde au théâtre afghan pourrait-elle jouer au détriment des enjeux de sécurité proprement européens. Il faut donc se soucier de stabiliser la relation euro-atlantique et de rénover l’OTAN, avec pour objectif de consolider les liens transatlantiques (l’Amérique du Nord demeure un espace de réassurance) mais aussi l’accroissement des marges de progression de l’« Europe de la défense ». A plus long terme, l’idée régulatrice est celle d’une nouvelle OTAN, fondée sur une alliance entre les Etats-Unis et l’Union européenne (une forme de communauté occidentale avec un pilier nord-américain et un pilier européen). Cela suppose des efforts capacitaires accrus de la part des Européens - on ne fait pas la guerre à coups d’organigrammes-, et une claire conscience des enjeux. Le besoin d’un état-major stratégique opérationnel européen devra aussi être satisfait. Mais tout ceci ne relève pas de simples raisonnements, l’Histoire n’est pas la logique, et moins encore de décrets ou de coups de menton.

D’une manière générale, les Russes considèrent que l’OTAN doit rester dans son « pré carré » et ne pas empiéter sur la zone d’influence ex-soviétique (Ukraine, Géorgie en particulier) et ils suggèrent de participer à la « sécurité européenne », ce que le Président Sarkozy a semblé accueillir favorablement. Serait-ce là une bonne ou une mauvaise chose ?

Les Russes ont fâcheusement tendance à voir l’OTAN à travers le prisme du Pacte de Varsovie et des logiques de bloc. Pourtant, l’Ouest ne constituait pas un bloc et les différents pays membres de l’OTAN y sont entrés de par leur libre volonté, pour préserver leur souveraineté envers et contre la domination soviétique. La nuance n’est pas mince. Gardons en mémoire cette forte pensée d’Arthur Koestler : « Nous défendons des demi-vérités contre un mensonge intégral ». Aujourd’hui, l’OTAN est une communauté de défense et de sécurité qui regroupe des pays partageant les mêmes règles de juste conduite (régime constitutionnel-pluraliste, Etat de droit et règne de la loi). Le préambule du traité de l’Atlantique Nord nous le rappelle. En face, une structure politico-militaire comme l’OTSC a fâcheusement tendance à ressembler à un rassemblement de régimes autoritaires et néo-patrimoniaux. Défions-nous donc des fausses symétries. Conformément au droit des gens, l’Ukraine et la Géorgie doivent avoir la possibilité de se déterminer souverainement et d’entrer dans l’OTAN, si cette perspective est partagée par l’ensemble des premiers concernés, pays membres et pays candidats. Reconnaître un droit de veto à la Russie sur ces questions serait une grave faute politique et cela reviendrait à considérer les pays candidats comme des « choses », pouvant être manipulées à volonté par la Russie.

Il faut de surcroît insister sur la haute valeur géopolitique de l’Ukraine et de la Géorgie. La Géorgie commande l’accès au corridor énergétique méridional (Bakou-Tbilissi-Ceyhan et Bakou-Tbilissi-Erzerum) qui permet d’acheminer les ressources en hydrocarbures de la Caspienne vers l’Europe. La consolidation de la « démocratie émergente » géorgienne permettrait aussi de monter qu’il existe d’autres voies politiques dans l’espace ex-soviétique que le néo-autoritarisme patrimonial. Quant à l’Ukraine, c’est l’un des principaux pays européens, tant par la superficie et le poids démographique que par sa situation géopolitique. Il est certes confortable sur le plan mental, mais erroné, de penser que ces deux pays pourraient infiniment demeurer dans une « zone grise » intermédiaire entre l’ensemble euro-atlantique (UE-OTAN) et la Russie-OTSC. Cette situation est hautement instable, que l’on scrute attentivement la présente situation sur les lignes de front géorgiennes, et ces pays (gouvernements et opinions publiques) basculeront d’un côté ou de l’autre. Voir Tbilissi et Kiev céder au « réunionisme » russe, pour intégrer l’OTSC, serait-il donc préférable à leur entrée dans l’OTAN ?

Il serait tout aussi erroné de penser que ces pays pourraient se détourner de la « méchante OTAN » pour se rapprocher de la « gentille UE », sous le regard approbateur de Moscou. Vue de Russie, la transformation de l’UE en un système géopolitique à même de « mordre » sur l’espace-CEI est inacceptable. Le soutien apporté par l’UE à la « révolution orange » en Ukraine a fait prendre conscience aux dirigeants russes que cette entité « post-moderne », par ailleurs méprisée comme telle, portait un projet d’intégration rival. Les dossiers UE et OTAN ont donc parties liées et c’est l’ensemble des instances euro-atlantiques qui sont perçues par les dirigeants russes comme un système antagonique. Pour une simple raison : leur cohésion et leur attractivité contrarient de fait la volonté russe de reconstituer une forme d’union post-soviétique (une CEI plus intégrée et centrée sur la Russie).

Quant à la participation de la Russie à un « nouvel ordre de sécurité », elle est invalidée par les faits. La guerre russo-géorgienne d’août 2008 et l’absence de règlement du conflit (les accords d’août-septembre 2008 ne sont pas même appliqués) ôtent toute crédibilité aux propositions formulées par Dmitri Medvedev à Berlin, le 5 juin 2008. Au sein de l’OSCE, une instance Est-Ouest mise en avant (en guise de réponse du berger à la bergère) par la diplomatie française (sommet de Nice, 14 novembre 2008), la situation est bloquée du fait de l’occupation russe de territoires géorgiens (Abkhazie et Ossétie du Sud) et de la reconnaissance par Moscou des régimes sécessionnistes.

Enfin se pose la question du régime politique russe lui-même. Le « paradigme de la transition » n’est plus opératoire et, pour justifier leur mainmise sur les pouvoirs et les richesses (le « système Poutine »), les actuels dirigeants se référent à une voie spécifique, russe ou chinoise. La situation intérieure ne peut qu’avoir des prolongements extérieurs, ne serait-ce que dans l’approche des réalités internationales. Ce n’est pas la focalisation sur des indicateurs économiques et démographiques russes, bien en retrait par rapport aux discours un temps suscités par l’afflux de pétro-dollars, qui pourra tenir lieu d’analyse géopolitique. Les Occidentaux ne pourront longtemps faire comme si les choses n’étaient pas ce qu’elles sont. Là encore, si les pays les plus éloignés des zones de contact avec la Russie laissaient à penser qu’ils considèrent leurs alliés centre-européens comme des Etats-tampons, la cohésion géopolitique des instances euro-atlantiques pourrait être mise plus à mal. Veut-on persister en ce sens ?

Une politique exigeante consiste à maintenir ce qui doit l’être, pour faire en sorte que le pire n’advienne pas, non pas à céder aux abstractions déréalisantes, faire table rase des héritages et prétendre « construire un monde meilleur ». Ayons à l’esprit la figure souveraine du « Katechon », celui qui retarde l’échéance fatale et conjure le désastre. Du reste, la déroute des philosophies modernes de l’Histoire, dans leurs différentes versions, marque peut-être la fin d’une illusion, celle des politiques eschatologiques.


 

Informations sur Jean-Sylvestre Mongrenier
Jean-Sylvestre Mongrenier, Chercheur à l’Institut Thomas More et à l’Institut français de Géopolitique (Paris VIII). Spécialiste de l’OTAN et des questions de géopolitique européenne (défense et énergie), il participe aux travaux du Groupe PESD du Centre d’Etudes et de Recherches de l’Ecole Militaire (CEREM).
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