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Entretien du 7/11/08
Jean-Pierre Jouyet
Secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes

Réformer notre système financier n’est pas seulement une nécessité, c’est un devoir

Le Cercle des Européens : Après avoir dans un premier temps privilégié des solutions exclusivement nationales pour lutter contre la crise financière et éviter les faillites bancaires, les États membres de l’Union européenne ont adopté à l’unanimité, lors du Conseil européen d’octobre, un plan d’action commun d’une ampleur sans précédent. Pouvez vous revenir sur la genèse et la portée de ce plan ?

Jean-Pierre Jouyet : La gestion de la crise financière doit servir d’exemple. En effet, les pays européens n’ont cédé ni à la panique, ni à la tentation d’un repli national. Sous l’impulsion décisive du Président du Conseil européen, l’Union a adopté des solutions cohérentes et ambitieuses. Je retiens sur la méthode que les décisions ont été discutées progressivement et de manière pragmatique. Dans un premier temps, les Etats membres participant au G8, à savoir l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni se sont réunis pour définir des positions communes, le 4 octobre dernier. Sur la base de ces travaux, les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone Euro se sont rencontrés à Paris le 12 octobre pour apporter leurs contributions à ce plan collectif. A ces débats étaient associés, bien entendu, la BCE, le Président de la Commission mais aussi nos partenaires britanniques. Enfin, dernière étape de ce plan, l’adoption unanime par les 27 lors du Conseil européen des 15 et 16 octobre derniers. Qui pouvait dire il y a quelques semaines encore que l’Europe saurait répondre à ce défi de façon concertée aussi rapidement ? Une solidarité politique inédite s’est manifestée dans des circonstances d’une gravité exceptionnelle au plus haut niveau. Ces évènements feront date pour l’Europe.

Vous avez déclaré que l’Europe devait à présent "réinventer le modèle financier". Par quelles mesures cela passe-t-il selon vous ?

En effet, nous ne pouvons pas en rester là. Répondre à l’urgence de la crise était un impératif, mais réformer notre système financier n’est pas seulement une nécessité, c’est un devoir. Les limites de notre système se sont manifestées clairement lors de cette crise. Ce n’est pas la crise qui a sapé le système, elle n’a été qu’un révélateur de ses dysfonctionnements. Cette prise de conscience générale aurait pu avoir lieu dans des circonstances plus dramatiques encore, il faut donc agir maintenant et en profondeur.

En parlant d’une seule voix comme elle a su le faire lors du Conseil européen, l’Europe a montré qu’elle était capable d’être une réelle force de proposition sur les questions économiques. En demandant la tenue d’un sommet international qui se tiendra le 15 novembre prochain, l’Europe est devenue pionnière dans la refondation du modèle financier. C’est un rendez-vous qu’il nous appartient de préparer. Dans cette perspective, les ministres de l’économie et des finances se sont retrouvés le 4 novembre, avant la réunion informelle des Chefs d’Etat et de gouvernement du 7 novembre.

Il nous faut répondre à plusieurs impératifs. Tout d’abord celui de l’éthique. Notre système financier doit favoriser l’investissement et non la spéculation. Les questions de la rémunération des dirigeants et de la transparence devront trouver des réponses adéquates. Les normes comptables devront être révisées pour ne plus jouer un rôle de catalyseur dans les périodes de crise. Enfin, il faudra renforcer le contrôle des agences de notation et conforter les autorités , notamment en donnant plus de cohérence au niveau européen au travail effectué par les différentes autorités de supervision. Cette crise a également montré les limites de l’autorégulation des marchés. Le rôle des acteurs économiques internationaux tels que le FMI doit être repensé et celui des autorités de surveillance au niveau international renforcé.

Quel peut être le rôle de l’Europe au sein du FMI ? Et quel avenir a selon la France le FMI comme outil de la gouvernance financière au plan mondial ?

Le FMI doit être le pivot de la surveillance du système financier mondial. Dans cette perspective, le FMI devrait avoir un rôle accru en terme de mise en relation et de coordination des autorités de surveillance nationales mais aussi pouvoir jouer un rôle d’aiguillon dans la définition des normes prudentielles et comptables dont j’ai évoqué les limites précédemment. Enfin, pourquoi ne pas imaginer un système d’alerte précoce en cas de crise.

Le FMI est à plus d’un titre l’acteur international le plus à même de jouer ces différents rôles. Il regroupe, 185 Etats et a su se réformer dans le bon sens et continue à le faire sous l’impulsion de Dominique Strauss Kahn.

Concernant le rôle de l’Europe au sein du FMI, je me félicite des efforts de coordination qui sont faits par nos représentants au sein de cette institution. Même si chacun des Etats membres conserve en propre ou de manière tournante un administrateur, un des administrateurs permanents est désormais chargé de coordonner les positions européennes au sein du Fond en association avec la Commission. Cependant, la question du siège unique pour la zone Euro n’est pas mûre et les difficultés à surmonter sont encore nombreuses. Parmi elles, la première reste la définition d’une doctrine économique européenne : comment peut-on envoyer un administrateur unique si l’on n’est pas capable de lui donner un mandat au-delà d’un consensus minimal et sans substance réelle ? Les efforts de coordination européenne de ces derniers jours constituent des signaux positifs à cet égard, mais ils doivent être poursuivis.

Des divisions persistent dans l’UE quant à l’idée d’un "plan de relance économique" et plus encore de la mise en place d’un "gouvernement économique de la zone euro" tel que récemment réclamé par Nicolas Sarkozy. Quelles sont les objectifs de la France sur ces deux points ? Des avancées sont-elles envisageables d’ici la fin de la Présidence française ?

Des avancées sont non seulement envisageables mais indispensables. La crise a montré à quel point l’Europe avait besoin de coordination et de réactivité sur le plan économique. Ce n’est pas faire injure aux ministres de l’économie et des finances que de dire qu’engager un plan de sauvetage financier aussi massif ne pouvait se faire qu’au plus haut niveau politique, c’est à dire des chefs d’Etat et de gouvernement. Ce pilotage politique au plus haut niveau de la zone euro me semble indispensable dans les autres domaines pour définir plus étroitement notre stratégie économique. C’est dans cette optique que le Président de la République a suggéré à nos partenaires de travailler à la consolidation de son initiative du 12 octobre .

Concernant la réponse européenne à l’arrêt brutal de la croissance, la Commission fera des propositions pour ce qui la concerne le 26 novembre prochain. D’ores et déjà, les institutions européennes agissent. La BCE a décidé d’abaisser de nouveau ses taux d’intérêt, ce qui est une excellente chose. Nous sommes d’accord en outre pour mettre en oeuvre toutes les flexibilités offertes par le Pacte de stabilité et de croissance en matière budgétaire. Enfin, la BEI se révèle un instrument financier très utile dont nous allons mobiliser davantage les financements, notamment en direction des PME.

Comment s’articule la proposition du Président français de présider jusqu’en 2010 un Eurogroupe composé de chefs d’Etat ou de gouvernement, avec le Conseil européen formé, lui aussi, des chefs d’Etat ou de gouvernement, non plus des 15 pays de l’eurozone, mais des 27 membres de l’UE ?

Cette question a fait l’objet de beaucoup d’approximations et d’amalgames. Le Président de la République a, à très juste titre, proposé la tenue régulière de rencontres au sommet entre les chefs d’Etat et de gouvernement des États membres de la zone Euro. Cette idée ne visait ni des personnes, ni certains de nos partenaires européens comme j’ai pu l’entendre ici où là. Il ne s’agit ni d’éloigner les Britanniques qui ont été plus que jamais associés aux décisions économiques de ces derniers jours, ni nos partenaires tchèques ou suédois à qui il reviendra en 2009 de poursuivre les efforts déployés par les différentes Présidences du Conseil.

Je note avec satisfaction que le précédent du mois d’octobre a permis une bonne articulation entre ces deux types de réunion au sommet. Il est somme toute logique que ce soit d’abord les Etats membres de la zone Euro, ceux qui partagent la même banque centrale et la même monnaie, donc les solidarités les plus étroites qui réfléchissent ensemble aux problématiques de la zone Euro. Pour autant, l’impératif de solidarité européenne ne doit pas être négligé et l’ensemble des partenaires européens devra être associé aux initiatives prises par les membres de la zone Euro. L’investissement britannique dans le plan d’action commun alors qu’ils ne sont pas membres de l’Eurogroupe, nous montre que la solidarité européenne fonctionne bien.

L’Irlande devra proposer lors du prochain Conseil européen de décembre une solution pour sortir de l’impasse institutionnelle née du "non" irlandais au Traité de Lisbonne. Quelles sont les pistes d’accord qui se dégagent ?

Je rappelle à ce sujet que la ratification du Traité par l’Irlande est une responsabilité irlandaise. Il ne nous appartient pas d’interférer dans les affaires intérieures irlandaises même si, en tant que Présidence, nous nous devons de soutenir nos amis irlandais dans leurs démarches. Le temps nous est compté. Nous souhaitons, d’ici la fin de l’année, nous mettre d’accord sur une feuille de route. Lors du dernier Conseil, le Premier Ministre irlandais a précisé les préoccupations irlandaises qui portent notamment sur la composition de la Commission, la fiscalité et les questions éthiques et sociale. Une commission parlementaire ad hoc pour examiner « l’avenir de l’Irlande au sein de l’Union européenne » a été crée au Dail et nous attendons les propositions irlandaises au prochain Conseil européen. Le Président de la République rencontrera de nouveau Brian Cowen, et je me rendrai à Dublin pour soutenir les efforts des autorités irlandaises

Hormis l’Irlande, quatre Etats membres n’ont pas encore achevé la procédure de ratification du Traité de Lisbonne, dont la République tchèque et la Suède, qui forment avec la France l’actuel "trio de présidences" et qui assureront la présidence du Conseil en 2009. N’est-ce pas là un signal négatif ? Comment voyez vous la poursuite du processus de ratification dans ces deux pays ?

Aujourd’hui 22 Etats membres ont déposé leur instrument de ratification. S’agissant des quatre autre Etats membres, nous sommes confiants dans la poursuite du processus. Le Président de la République allemande a récemment indiqué qu’il estimait que le traité de Lisbonne était compatible avec la Constitution allemande. Le Tribunal de Karlsruhe devrait rendre sa décision début 2009, ce qui permettra le dépôt de l’instrument de ratification. Le Parlement suédois devrait approuver le traité de Lisbonne le 20 novembre prochain, ce qui permettra ensuite le dépôt de l’instrument de ratification à bref délai. En Pologne, le Président de la République a signé le traité de Lisbonne et le Parlement l’a approuvé à une large majorité. Je pense que la Pologne, conformément aux engagements déjà pris, déposera son instrument de ratification. Enfin, le processus est en cours en République Tchèque. La Cour constitutionnelle rendra un avis le 25 novembre prochain, ce qui ouvrira la voie au processus de ratification parlementaire, qui devrait s’achever, selon les dernières informations disponibles, dans les premiers mois de la Présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne. Nous pouvons donc être confiants et nous espérons qu’à la fin de l’année, vingt-cinq des vingt-sept Etats membres auront ratifiés le Traité de Lisbonne.

Est-il selon vous envisageable que l’UE continue à fonctionner pendant encore un certains nombre d’années sur la base du Traité de Nice ?

Ce n’est ni souhaitable ni possible. Le Traité de Nice n’est pas une base adéquate. Tous nos partenaires européens sont d’accord sur ce point. Nous le voyons, les réponses qu’a su apporter l’Europe aux crises internationales et financières de ces derniers mois montrent à quel point nous avons besoin d’un leadership politique stable, de plus de coordination et de réactivité. L’Union européenne a besoin de continuité et de visibilité et ne peut pas rester figée dans des institutions qui ne sont plus à la hauteur de ses ambitions légitimes. Enfin, l’Union européenne ne pourra sincèrement envisager de nouveaux élargissements sans avoir réglé la question institutionnelle.

L’adoption du "paquet énergie-climat" lors du prochain Conseil européen de décembre constitue un objectif majeur de la fin de la Présidence française. Eu égard à la menace de certains pays de s’opposer à un accord jugé trop contraignant et trop coûteux pour leurs économies, quels sont les points de négociation les plus sensibles ? Et à quel type d’accord pensez-vous que les États puissent parvenir ?

Le paquet énergie climat constitue un enjeu essentiel et même historique. C’est notre modèle de développement qui est en jeu. Ce paquet permettra de placer l’Europe en position de force pour les négociations internationales en matière de lutte contre le changement climatique, et en particulier pour la conférence de Copenhague de fin 2009.

Le Conseil européen d’octobre a réaffirmé le calendrier et les objectifs. La Présidence souhaite donc un accord d’ici la fin de l’année qui préserve les objectifs dits "3 fois 20" (20% d’énergies renouvelables, 20% de réduction de gaz à effet de serre, 20% d’amélioration de l’efficacité énergétique). Au delà de ces lignes rouges, la Présidence devra rechercher les flexibilités appropriées pour répondre aux préoccupations des Etats membres au regard de la spécificité de leur tissu industriel et de leur mix énergétique. L’accord sur ce paquet devra être un juste équilibre entre ambition environnementale et préservation de la compétitivité des industries européennes.

Quel bilan faites vous de l’action de l’Union européenne au moment du conflit entre la Géorgie et la Russie ? A quelle date pensez-vous que les Russes se retireront de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie ?

L’Europe a fait, lors de la crise entre la Russie et la Géorgie, la preuve de sa capacité à réagir de manière rapide et efficace à des crises internationales. La crise géorgienne a été, et reste, un des grands défis de politique étrangère lancé à l’Europe. Trop nombreux ont été les exemples de l’inaction européenne sur la scène internationale. Est-il nécessaire de rappeler les conséquences désastreuses de la division européenne face à ce genre de défis. L’Ex-Yougoslavie porte encore les traces de nos divisions passées.

Grâce à l’investissement de la Présidence française et la concertation avec l’ensemble des acteurs européens, l’Union européenne a su apporter une réponse cohérente et efficace en obtenant notamment un retrait des troupes russes de Géorgie, la préservation de sa souveraineté et l’envoi d’observateurs européens.

Pour autant, la question n’est pas complètement réglée. Après le temps de l’urgence vient celui des négociations. Il appartient aux parties en présence de les aborder franchement et sans a priori. Qu’il me soit permis de saluer les efforts du représentant spécial de l’Union européenne pour ce conflit, Pierre Morel, qui peut compter sur l’engagement de la Présidence en faveur d’une solution pacifique durable dans la région.

Quel est votre rêve pour l’Europe ?

Je rêve d’une Europe responsable, solidaire, efficace et influente sur le plan internationale. L’Europe doit être plus réactive, mieux faire connaître ses réalisations concrètes et surtout investir davantage dans la mobilité et la formation des jeunes dans tous les Etats de l’Union.

[1]En Allemagne, la Cour constitutionnelle devrait statuer d’ici décembre 2008 sur deux recours portant sur l’inconstitutionnalité du Traité de Lisbonne. En Pologne, le Président de la République a réitéré son refus de signer la loi de ratification (votée depuis le 1er avril 2008...), tant que l’Irlande n’aura pas elle-même ratifié. En République tchèque, la décision de la Cour constitutionnelle sur la compatibilité du Traité de Lisbonne avec la Constitution nationale devrait intervenir vers la fin octobre - mais le vote du Parlement devra probablement attendre la fin novembre. En Suède, le Parlement poursuit son - très méticuleux - examen du Traité de Lisbonne et pourrait se prononcer sur la ratification le 20 novembre. (Source : Jean-Guy GIRAUD, Les Amis du Traité de Lisbonne).

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