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Entretien du 16/10/08
Othar Zourabichvili
Président de l'Association géorgienne en France

Au lieu d’agir comme un stabilisateur régional, la Russie développe dans le Caucase une politique offensive et objectivement martiale

 Le Cercle des Européens : Le conflit entre la Géorgie et la Russie, constitue un test majeur pour la diplomatie européenne. Depuis l’accord de cessez le feu du 16 août jusqu’au Conseil européen extraordinaire du 1er septembre et l’exigence européenne du retrait russe du territoire géorgien, quel regard portez vous l’action du l’Union européenne ?

Othar Zourabichvili : L’initiative de la Présidence française a été décisive dans l’obtention rapide de l’arrêt des hostilités, limitant ainsi l’avancée russe. Mais on peut, dès à présent, voir le prix à payer de l’accord arraché au Président géorgien. Cet accord contient par son imprécision des concessions "potentielles" qui, non prises en compte dans les négociations à venir, conduiront à octroyer à la Russie les "clés du terrain".

Le "flou" de l’accord signé est particulièrement regrettable pour les points suivants :

• Le retour au statu quo ante (positions militaires occupées avant le début du conflit) devrait se traduire par :
1-le retrait des forces militaires russes de toutes les zones "tampon" et à fortiori de tous les autres localisations ;
2- le retrait de l’armée russe de la région de l’Ossétie du Sud et la reprise de contrôle des villages par leurs habitants (environ 60 000 géorgiens chassés de leurs villages par le nettoyage ethnique) ;
3- la réduction des effectifs militaires pour les mettre en conformité avec le mandat antérieur concédé aux forces "de paix" russes

• La présence des observateurs européens au sein même de la zone de conflit et non en périphérie. En interdisant l’accès des observateurs à l’Ossétie du sud, on limite leur activité de contrôle exclusivement à l’armée géorgienne !! Ce n’est que par leur présence dans les zones de conflit que les observateurs pourront garantir le retour des populations déplacées.

Aucune de ces 2 conditions ne sont remplies aujourd’hui, le simple contrôle par les observateurs de la dissolution des check-point russe étant elle-même source de difficultés.

L’Union européenne est parvenue à affirmer une position commune pour le règlement du conflit en Géorgie et ce malgré d’importantes divergences entre Etats membres, notamment sur l’attitude à adopter à l’égard de la Russie, avec d’un côté les pays de la "nouvelle Europe", ayant adhérés en 2004 et de l’autre les pays de la "vieille Europe". Comment analysez vous ces divergences ?

Une importante défiance se manifeste chez les anciens membres du Pacte de Varsovie et les anciennes républiques de l’URSS. Ces pays ont entretenus depuis la disparition de l’URSS des relations de proximité avec la Géorgie. Au cours de ces années, Ils ont eu le loisir d’observer les provocations exercées par la Russie à l’encontre de la Géorgie. En avril à Bucarest, lors de la réunion de l’OTAN, ces pays ont fermement soutenu les candidatures ukrainiennes et géorgiennes en faveur de l’accession au MAP (Membership Action Plan).

Le décode de la rhétorique russe, l’interprétation des provocations russes (violation de l’espace aérien géorgien à plusieurs reprises, destructions de drones, …), ont pour ces pays un sens immédiat. L’invasion de la Géorgie n’a fait que confirmer leurs craintes.

Pour la vieille Europe, la sensibilité n’est pas la même et la "pression énergétique" exercée, a sur certains, l’effet de limiter l’indignation et d’entrainer bien des atermoiements. Ainsi, la Chancelière Merkel après son retour de Russie début 2008, s’est fermement opposée à l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN. Au lendemain de l’invasion de la Géorgie, le 17 août, elle déclarait sur le sol géorgien : la Géorgie "sera membre de l’Otan". Il y a quelques jours, lors de sa visite en Russie, la Chancelière revenait à ses déclarations initiales !

L’action de l’Union européenne dans le règlement du conflit entre la Géorgie et la Russie marque t-elle selon vous une étape majeure vers une véritable politique étrangère et de sécurité commune et vers l’affirmation de l’UE sur la scène internationale ?

Les événements récents en Géorgie montrent que lorsqu’existe un conflit aux portes de l’Europe, une initiative volontaire et forte, prise par le Président de l’UE, en particulier si celui-ci appartient à un pays important de la constellation, conduit à un résulta tangible, même si l’on peut considérer que sur certains aspects la décision prise n’est qu’une position minimale acceptable par tous.

Ce type d’initiative est nécessaire pour ne pas limiter l’UE à n’être qu’un "phare à principes" dépositaire de valeurs d’exemplarité. L’homogénéité des positions européennes est sujette à d’importantes variations et ne semblent pas être la résultante d’une appréciation similaire de la situation, née d’intérêts parfois divergents. Il apparaît difficile que puisse se mettre en place une stratégie suffisamment solide et stable pour dépasser les limites temporelles d’une présidence tournante.

Ces réserves étant faites, la voix de l’UE est loin d’être inaudible, en particulier si elle est portée par une Présidence forte (ce qui a été le cas lors de guerre russo-géorgienne). Reste à savoir la pérennité d’une telle action alors que va s’installer dans quelques mois une présidence tchèque, tout aussi honorable, mais sans doute de portée moindre sur la scène internationale.

On est, chacun en conviendra, bien loin d’un quelconque leadership mondial, même si d’aucun l’espère.

La Russie se sert de ses ressources énergétiques, instrument central de son regain de puissance, comme une arme diplomatique. La dépendance énergétique de l’UE à l’égard de la Russie la condamne t-elle à une position de faiblesse ? Est elle contraint de faire passer ses intérêts économiques avant ses idéaux politiques ?

Parmi les pays de l’UE les plus dépendants énergétiquement de la Russie ne sont pas, paradoxalement, les plus conciliants. La dépendance de l’UE en gaz naturel, tout pays confondus, est de 60%. La volonté de la Russie est d’accroître cette dépendance dans un objectif autant politique que commercial. Pour l’atteindre, la Russie n’écarte pas les options militaires.
La stratégie est double visant à limiter les voies d’approvisionnement hors de son contrôle et parallèlement développer ses propres projets.

• Contrôle accru par la remise au pas de la Tchétchénie, voie de passage nord des hydrocarbures ; par la menace directe sur l’oléoduc TBC, voie d’approvisionnement européen, par l’invasion de la Géorgie ; par les tentatives multiples de freiner le projet européen Nabucco qui pourrait relier l’UE aux gisements de la Mer Caspienne et de l’Iran.

• Parallèlement la Russie accélère le projet "Blue Stream", sous la Mer Noire et le gazoduc nord-européen, sous la Mer Baltique (n’oublions pas que ce projet concerne l’Allemagne : le Chancelier Schröder à négocié l’accord avec la Russie au cours de son mandat, pour prendre au terme de celui-ci la Présidence du Conseil de Surveillance du Consortium Nord-Stream AG)

On voit dans le contrôle de l’approvisionnement une des clés de lecture de l’invasion de la Géorgie.

Le conflit avec la Géorgie a montré que la Russie n’admettait pas que des anciens pays membres de l’URSS basculent dans le camp atlantique et rejoignent l’OTAN. Tout en se disant déterminé à défendre les intérêts de la Russie, le Président Dimitri Medvedev a en outre récemment affirmé vouloir revoir la question de la sécurité en Europe. Quelle analyse faites vous de la politique étrangère de Moscou ? Y voyez vous le retour de la "Grande Russie" ou une nouvelle doctrine Brejnev ?

Lorsque l’on explique, ou que l’on justifie, la politique étrangère russe, par le besoin de recouvrer une puissance perdue, ou encore comme une conséquence à un supposé "encerclement" américain, on présente les décisions russes comme "en réaction à… " (C’est d’ailleurs ainsi qu’elle le prétend elle-même). Sa position de "menacée" justifie, selon elle, sa réaction. Il n’est alors de débat que sur le caractère disproportionné de cette réponse et non sur la réalité d’une prétendue menace.

L’observation de la période récente montre que la Russie au lieu d’agir comme un stabilisateur régional, rôle que pourrait assurément tenir une grande puissance, développe dans le Caucase une politique offensive et objectivement martiale.

Au cours des 2 dernières années précédent la guerre russo-géorgienne, tous les signes étaient visibles pour qui voulait les voir : embargo commercial, refus de modification de format dans les négociations avec les pouvoirs auro-proclamés abkhaze et ossète, distribution de passeports russes dans ces régions…. Puis les actions entreprises prenaient une coloration franchement militaire : opération militaire exceptionnelle au Nord de la Géorgie, renforcement hors mandat des forces russes de maintien de la paix, violation répétées de l’espace aérien géorgien, réfection des voies ferrées en Abkhazie pour accélérer les transports militaires, ….

Accréditer l’idée qu’un pays qui manifeste le souhait d’intégrer l’OTAN constitue une menace et que ce type de menace suffit à justifier l’invasion russe, revient à accepter le postulat qui prévalait à l’époque soviétique : la Russie doit disposer pour sa sécurité d’une ceinture de pays dont la liberté de choix de politique étrangère est fixée par la "maison mère". Ces territoires rappellent furieusement, les pays que l’on désignait à l’époque soviétique sous le vocable "glacis" et que l’on qualifie, aujourd’hui, "d’étranger proche".

Comment considérer le rôle et l’avenir de l’Alliance atlantique dans le monde de l’après guerre froide ?

Doit-on considérer que nous sommes définitivement dans une période d’après guerre froide ou que nous y revenons ? Au fond, peu importe ! L’avancée pro-européenne et pro-atlantique de la Géorgie, qui contrevient aux intérêts russes, vient d’être stoppée par la force. Peut-on considérer qu’il s’agit là d’un contexte propice favorisant le délitement de l’Alliance atlantique ? L’absence, pour l’heure, d’un véritable contrepoids européen, non seulement institutionnel, mais également politique et militaire, ne permet pas de le penser.

En décembre se tiendra une nouvelle réunion de l’OTAN lors de laquelle la candidature de la Géorgie et de l’Ukraine sera à nouveau étudiée. L’adhésion de ces deux pays à l’OTAN constitue-t-elle une solution aux enjeux sécuritaires en Europe et plus particulièrement dans cette région de la mer Noire ?

Le refus de l’Allemagne et de la France, au printemps 2008 à Bucarest, à l’entrée dans le MAP de la Géorgie et de l’Ukraine a été interprété par la Russie comme un "blanc seing", "autorisant" ses actions militaires en Géorgie.

Un nouveau refus en décembre, scellerait définitivement le sort de la Géorgie et à terme celui de l’Ukraine. Le schéma est déjà établi : déstabilisation immédiate du Président et du gouvernement géorgien par des mécontentements puis par des manifestations alimentés par une situation économique critique. Le ferment sera constitué par les réfugiés du conflit actuel, puis le mécontentement gagnera reste de la population …. jusqu’à ce qu’une alternance politique "providentielle" ayant l’assentiment du Kremlin puisse s’opérer. Cette étape interviendra avant la fin de l’année (c’est d’ailleurs à ce moment que se reposera de nouveau la question de l’intégration à l’OTAN).

Informations sur Othar Zourabichvili
Othar Zourabichvili, Président de l’Association Géorgienne en France. L’Association Géorgienne en France a été fondée en 1922 par les réfugiés politiques géorgiens. En 1921, au lendemain de l’invasion de la Géorgie (alors République indépendante) par l’armée rouge, le gouvernement géorgien, quelques intellectuels et une poignée d’hommes politiques, choisissent de continuer le combat en France, le pays qui, pour eux, symbolise le mieux l’esprit de liberté dont ils se réclament. L’Association, aujourd’hui encore, à la 3e génération, de français d’origine géorgienne à laquelle se sont joints de nouveaux émigrants géorgiens, reste fidèle à ces mêmes principes.
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