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Entretien du 11/09/08
Hubert Haenel
Sénateur français

Le Sénat a un rôle à jouer pour rapprocher l’Europe des citoyens

 En quoi consiste le rôle de la délégation du Sénat pour l’Union européenne que vous présidez depuis 1999 ?

La délégation pour l’Union européenne – devenue commission des Affaires européennes (CAE) depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet dernier – a pour tâche principale le contrôle de l’action du Gouvernement au sein du Conseil de l’Union. À ce titre, elle participe – aux côtés des commissions compétentes pour chaque secteur – à la mise en œuvre de l’article 88 4 de la Constitution, qui permet aux sénateurs de prendre position, à l’intention du Gouvernement, sur les textes examinés par le Conseil. Dans le même sens, elle peut prendre l’initiative de débats en séance publique sur des sujets européens importants, ou organiser des auditions.

La CAE a également une mission d’information du Sénat sur les sujets européens, ce qu’elle fait sous deux formes : la publication régulière d’un bulletin spécifique, et la publication de rapports d’information sur des thèmes précis.

La CAE participe en outre aux relations interparlementaires au sein de l’Union (réunions de la COSAC – conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires –, rencontres avec le Parlement européen, réunions de l’assemblée parlementaire euro méditerranéenne, rencontres avec les commissions homologues des autres parlements…).

Enfin, la CAE est l’interlocuteur, pour le Sénat, de la Commission européenne pour la mise en œuvre du dialogue sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, lancé à l’automne 2006 à l’initiative du président Barroso.

Depuis le 1er juillet 2008 la France exerce la présidence du Conseil de l’Union ce qui la place au devant de la scène européenne et internationale ainsi qu’au cœur des initiatives de l’Union durant six mois. Quel est le travail spécifique effectué par la Délégation pour l’Union européenne du Sénat à l’occasion de cette présidence ?

La délégation pour l’Union européenne a été associée à la préparation de la présidence française. À la veille de la présidence française, un débat en séance publique a été organisé sur celle ci. La délégation – devenue entretemps commission – a pour tâche principale d’organiser la réunion de la COSAC, qui se déroulera au Sénat les 3 et 4 novembre.

L’adoption du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République par le Congrès réuni à Versailles, le 21 juillet 2008, contient une série de dispositions relatives à l’Europe, dont : la capacité pour le Sénat et l’Assemblée Nationale de former "un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité" ; la transmission aux assemblées de "tout document émanant d’une institution de l’Union européenne" ; la possibilité pour les deux assemblées d’adopter des résolutions sur les textes votés par les institutions de l’Union ; ou encore la transformation des "Délégations pour l’Union européenne" en "Commissions chargées des Affaires européennes". Ces réformes permettront elles une meilleure implication du Parlement dans les questions européennes ? Quelles étaient les lacunes à combler ?

Il faut distinguer deux aspects :

– le contrôle de subsidiarité permet aux assemblées d’adresser aux institutions européennes des "avis motivés" pouvant entraîner le réexamen d’un texte ; il leur permet également de saisir la Cour de justice pour assurer le respect du principe de subsidiarité. Ces nouveaux pouvoirs découlent du traité de Lisbonne et sont subordonnés à son entrée en application ;

– le renforcement du contrôle des deux assemblées sur le Gouvernement prévu par la loi constitutionnelle du 24 juillet porte sur deux points : les assemblées pourront désormais prendre position sur tout texte européen, alors que jusqu’à présent cette possibilité était normalement réservée aux textes européens de nature législative ; par ailleurs, les délégations pour l’Union européenne ont désormais le statut de commissions permanentes (ce qui, pour l’essentiel, aligne le droit sur le fait).

Le principal effet de la révision constitutionnelle est donc d’élargir le champ du contrôle des assemblées (qui, par exemple, n’avaient pu se prononcer sur l’ouverture des négociations avec la Turquie, la décision d’ouvrir ces négociations ne nécessitant pas un texte de nature législative).

Une des mesures de cette réforme constitutionnelle porte sur le contrôle du principe de subsidiarité par les Parlements, dans lequel la Délégation pour l’Union européenne du Sénat joue un rôle de premier ordre. En quoi cette mesure constitue-t-elle une réelle avancée ? Quels sont les enjeux liés au principe de subsidiarité ?

La mise en œuvre du contrôle de subsidiarité, qui suppose l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, constituerait une réelle avancée, car beaucoup de citoyens estiment que l’Union n’est pas assez présente dans certains domaines (comme l’action extérieure ou la coopération judiciaire et policière), mais intervient trop dans d’autres (nul ne comprend qu’il faille une autorisation européenne pour appliquer un taux réduit de TVA à la coiffure ou à la restauration). Le contrôle de subsidiarité donne aux parlements nationaux un moyen de contribuer au recentrage de l’action de l’Union vers les domaines où son intervention est indispensable. Un dialogue informel sur la subsidiarité a déjà été lancé à l’initiative du président Barroso. Le Sénat y participe activement. Mais seule l’entrée en vigueur du nouveau traité pourrait donner une portée juridique au contrôle de subsidiarité.

Le Traité de Lisbonne renforce les pouvoirs des Parlements nationaux. Cela vous semble t-il souhaitable, si oui pourquoi ?

Le renforcement des pouvoirs des parlements nationaux est souhaitable en matière de subsidiarité pour les raisons qui viennent d’être exposées. Mais il est également souhaitable dans les domaines de caractère "régalien" (défense, coopération judiciaire et policière) où ils sont détenteurs d’une légitimité particulière. L’approfondissement de la construction européenne, dans de tels domaines, passe à mon avis par une association plus étroite des parlements nationaux. Le traité de Lisbonne ouvre à cet égard des possibilités qu’il faudra saisir. Enfin, les référendums négatifs dans certains pays ont montré qu’il fallait développer les relais, les intermédiaires entre l’Europe et les citoyens : les parlements nationaux ont un rôle à jouer dans cette optique.

Certains y voient des risques accrus de concurrence entre les parlements nationaux et le Parlement européen ou un risque que l’intérêt national prenne le pas sur l’intérêt communautaire. Partagez vous cet avis ?

Il y a beaucoup plus de complémentarité que de concurrence dans les rôles respectifs du Parlement européen et des parlements nationaux, même s’il existe une "zone grise" –notamment pour les questions de défense – où une formule appropriée reste à trouver. Les contacts interparlementaires sont de plus en plus nombreux. Le travail en commun au sein de la Convention pour l’avenir de l’Europe a contribué à faire reculer les idées reçues sur les parlements nationaux, lesquels ont largement contribué à faire émerger un compromis ambitieux. Parmi ces idées reçues figure celle qu’un rôle accru des parlements nationaux entraînerait "le risque que l’intérêt national prenne le pas sur l’intérêt communautaire". Or, de même que le souci des intérêts nationaux n’est pas absent du Parlement européen, de même le souci de l’intérêt communautaire n’est pas absent des parlements nationaux. Il n’y a pas les "bons Européens" à Bruxelles et les "mauvais Européens" dans les capitales !

Après le rejet du Traité constitutionnel par la France et la Pays Bas en 2005, comment sortir de la nouvelle l’impasse institutionnelle née du non irlandais au Traité de Lisbonne ? Quelle analyse faite vous de cette "crise" dans laquelle l’Union semble plongée depuis 3 ans ?

Compte tenu de la participation relativement forte et de la majorité relativement claire au référendum irlandais, on ne peut demander aux Irlandais de revoter purement et simplement. Il faut adjoindre au traité un document leur permettant de voter sur de nouvelles bases en montrant que leurs inquiétudes ont été au moins en partie entendues. Je suis favorable, dans ce sens, à l’utilisation de la souplesse apportée par le traité de Lisbonne sur la composition de la Commission. Rester à un commissaire par État membre, comme le souhaitent les Irlandais, n’est certes pas une solution idéale, mais la composition prévue par le traité de Lisbonne l’est encore moins ! Je crois, puisque le traité de Lisbonne le permet, qu’il faut leur donner satisfaction sur ce point. Il serait également très utile que le Conseil européen adopte une déclaration interprétative du traité, afin de lever les malentendus, voire les procès d’intention.

Je vois deux raisons principales à la "crise" que traverse l’Union depuis trois ans. Tout d’abord, en se concentrant sur les questions institutionnelles, l’Union s’est coupée des opinions publiques. Ensuite, l’élargissement n’a pas été expliqué ; les opinions publiques n’ont pas été associées à ce changement majeur, ce qui illustre l’insuffisance plus générale de l’information et du débat sur la construction européenne.

Comment remédier à cette crise de confiance entre l’Europe et les citoyens ? Quel peut être le rôle du Sénat ?

Je crois qu’il faut changer d’approche et de façon de faire. Les questions institutionnelles sont certes importantes, mais ce sont les projets communs qui intéressent les citoyens et peuvent les réunir. Il faut donc mettre au premier plan les projets communs, les objectifs communs. Par ailleurs, il faut bien davantage expliquer les décisions, accepter un large débat préalable, être davantage à l’écoute des opinions.

Sur certains points, une communauté d’objectifs est encore à créer entre Européens : quel doit être l’avenir du processus d’élargissement ? Quel degré de cohésion économique, sociale, territoriale faut il souhaiter pour l’Union ? Comment concevoir les rapports entre identité européenne et identités nationales ? Sur de tels sujets, des débats préalables sont nécessaires. Il faut avoir le courage de les lancer.

Mais sur certains objectifs correspondant à des attentes manifestes des citoyens, il existe d’ores et déjà un large consensus : améliorer la gouvernance économique et sociale, lutter plus efficacement contre la délinquance transfrontalière, renforcer l’action extérieure de l’Union, clarifier les responsabilités entre l’Union et les États membres… Dans de tels domaines, l’Europe doit avancer des projets mobilisateurs, compréhensibles par les citoyens, comme l’ont été Schengen ou l’euro.

Le Sénat, à mon avis, a un rôle à jouer pour rapprocher l’Europe des citoyens. Il doit être un relais entre les collectivités territoriales et l’Europe, il doit participer activement aux grands débats européens, il doit contribuer à l’information du public, et il doit, par son contrôle, favoriser plus de transparence, de subsidiarité, d’écoute des citoyens.

En tant que sénateur du Haut-Rhin depuis 1986, de plus dans une région à forte vocation européenne, pouvez-vous nous décrire la place de l’Europe à l’échelon local ? Comment envisagez vous le rôle des régions dans la construction européenne ?

Les Alsaciens ont une sensibilité européenne toute particulière : leur région est le siège d’institutions européennes, elle est un trait d’union entre la France et l’Allemagne, un espace de rencontre des cultures, son économie est tournée vers l’espace rhénan… L’Alsace a obtenu d’avoir la responsabilité essentielle dans la gestion des fonds européens.

Pour autant, je ne crois pas que l’idée d’une "Europe des régions" soit réaliste. L’Union regroupe 27 États de taille très différente, où les régions ont des pouvoirs très différents et où la dimension régionale a une signification très variable (parfois à peu près inexistante). L’Europe des États n’est pas une entreprise facile ; l’Europe des régions soulèverait des problèmes inextricables. Je crois que pour que l’Union gagne en légitimité auprès des citoyens, il faut développer dans son fonctionnement ce qui fonde la légitimité démocratique : le contrôle, la responsabilité, la transparence ; et il faut que l’Union paraisse à l’écoute des citoyens et s’efforce de répondre à leurs attentes.


 

Informations sur Hubert Haenel
Hubert Haenel, Sénateur du Haut-Rhin (depuis 1986) et Président de la Délégation du Sénat pour l’Union européenne (depuis 1999). Entre 2002 et 2003 Hubert Haenel a siégé au sein de la Convention sur l’avenir de l’Europe (2002-2003). Il est aujourd’hui membre du Comité d’orientation sur les questions européennes, chargé de préparer la présidence française de l’Union européenne au second semestre 2008.
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