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Entretien du 15/07/08
Paul Marcus
Historien et essayiste

Le sommet de Paris a permis de remettre la France dans le jeu diplomatique du Proche-Orient

 Le Cercle des Européens : Quel bilan tirez vous de ce premier sommet consacré à l’Union pour la Méditerranée ?

Paul Marcus : J’en tire un bilan très positif et je dirais même historique dans la mesure où le projet d’Union pour la Méditerranée a permis de réunir autour d’une même table le Président israélien, le Président syrien et le Président libanais.

D’un côté, la présence conjointe d’Ehoud Olmert et de Bachar Al-Assad - jusque là considéré comme "l’ennemi du bien", pour reprendre une expression américaine - constitue les prémices d’un vrai dialogue entre dirigeants israéliens et arabes dans la perspective de la résolution du conflit entre Israël et la Palestine. Pour mesurer l’importance de cette rencontre, il faut d’ailleurs souligner que ces deux pays restent officiellement en guerre depuis 1948. De plus, le Liban et la Syrie ne reconnaissent pas l’État d’Israël.

D’un autre côté, ce sommet fournit l’espoir d’une normalisation des relations entre la Syrie et le Liban, puisque les deux pays ont annoncé leur intention de créer des ambassades dans leurs capitales respectives. Ceci ouvrirait ainsi la voie à une reconnaissance par Damas de la souveraineté du Liban.

Le sommet a enfin permis de déterminer certains projets concrets de l’Union pour la Méditerranée, comme le développement d’autoroutes maritimes et terrestres ou la dépollution de la Méditerranée du côté de l’environnement ; projets qui me semblent très importants, quand bien même leur mise en œuvre n’interviendra qu’a plus ou moins long terme. L’Union pour la Méditerranée a le mérite de mettre en avant les intérêts communs des pays riverains de la Méditerranée, facteur essentiel pour parvenir à la paix.

Le projet d’Union pour la Méditerranée vise en partie à tirer les leçons de l’échec du processus de Barcelone qui avait buté sur le conflit israélo-palestinien. De ce point de vue, quels espoirs fondez-vous dans cette initiative ?

Je fonde de ce point de vue de grands espoirs. A l’époque du processus de Barcelone, les conditions n’étaient pas encore réunies pour la résolution du conflit israélo-palestinien. De plus, la position de la France était à l’époque très compliquée. La politique "pro arabe" de la France, sous la Présidence de Jacques Chirac, était mal perçue du côté israélien et empêchait donc toute tentative fructueuse de résolution du conflit. Aujourd’hui les circonstances semblent beaucoup plus favorables. Les fils du dialogue ont été plus ou moins renoués entre pays arabes et Israël. Je pense aux négociations secrètes ou indirectes conduites entre la Syrie et Israël par l’intermédiaire de la Turquie. Il faut par ailleurs noter l’intervention de l’Égypte qui a permis une trêve entre Israël et le Hamas, même si cette trêve ne me semble pas tout à fait respectée du côté du Hamas. Tout cela indique que les choses peuvent s’arranger.

L’Union pour la Méditerranée, dont le prologue consistait à mettre autour de la même table les Syriens, les Libanais, les Israéliens et les Algériens est d’ores et déjà une prouesse.

Quelles peuvent être les prolongements de la présence conjointe, à Paris, de la Syrie et d’Israël, suite à la reprise des négociations des paix, interrompues depuis 8 ans ? Comment analyser vous la position du Président syrien Bachar al-Assad ?

Cette reprise des négociations est une condition sine qua non pour la réussite du processus de paix, car Israël et la Syrie sont les deux pays "dominants" dans cette partie du monde. Ce qui est certain c’est qu’une paix ne pourra se faire sans la Syrie et Israël. Le fait que Bachar al-Assad ait pu sortir de son isolement diplomatique est plutôt de bonne augure. Son isolement tenait d’une part à la politique menée de son père, Hafez al-Assad, et d’autre part au fait que les circonstances ne lui permettaient pas jusqu’à présent d’amorcer un changement. Les déclarations Bachar al-Assad lors de sa visite à Paris me font d’ailleurs un peu penser à Mikhaïl Gorbatchev lorsqu’il a voulu opérer un changement de politique. Aujourd’hui, le Président syrien reste prudent quant à la résolution du conflit mais ne rejette pas les possibilités d’un accord de paix avec Israël dans un plus ou moins proche avenir.

Qu’est ce qu’Israël peut attendre du projet d’Union pour la Méditerranée ?

Israël attend en premier lieu l’organisation d’une véritable paix. Ceci va être très difficile pour de nombreuses raisons dont la question des colonisations. Mais j’ai entendu à ce sujet des déclarations relativement optimistes de l’Ambassadeur d’Israël en France, estimant que tout était négociable et que le retrait des implantations était envisageable. La paix reste naturellement subordonnée à la création d’un Etat palestinien, sûr et reconnu, dans de véritables frontières, car un Etat morcelé n’aurait aucun sens.

Israël a bien conscience que sur beaucoup de points la résolution du conflit israélo-palestinien dépend des pays environnants. Je pense notamment au problème de l’eau qui joue un rôle capital. L’Union pour la méditerranée pourrait donc favoriser des coopérations – en cas de paix bien entendu – entre Israël et la Syrie, l’Égypte ou les autres pays de la région.

Dans le cadre de la politique européenne de voisinage, l’UE et Israël ont décidé en 2005 de dépasser le stade de la coopération pour permettre à Israël de prendre progressivement part aux politiques et aux programmes du marché intérieur européen. (Notons qu’Israël participe déjà a certains programmes communautaires comme le programme-cade pour la recherche). Que pensez vous de cette volonté d’intégration ?

Je poserais le problème un peu à l’envers : à qui voulez-vous qu’Israël se raccroche d’un point de vue économique ou par exemple technologique, domaine dans lequel Israël est à la pointe de l’innovation ? Le plus proche est l’Europe ! Les dirigeants européens ont de leur côté bien conscience des intérêts économiques et technologiques communs avec Israël. Cette coopération approfondie entre Israël et l’Union européenne, n’est d’ailleurs pas incompatible avec une coopération entre Israël et les Etats arabes de la région.

Dans votre ouvrage, vous analysez le tournant "pro-arabe" de la politique étrangère de la France ces dernières années, rompant ainsi avec la traditionnelle amitié entre la France et Israël. Quel est aujourd’hui l’état des relations entre les deux pays ? Assiste t on à un nouveau revirement de la politique française depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République ?

Je décris dans mon livre une première partie des relations franco-israéliennes qui va de la création de l’Etat d’Israël en 1948 à 1958-1962. Pendant ces dix années c’était le "grand amour" entre les deux pays pour des raisons que l’on peut bien comprendre : le jeune Etat israélien a été construit sur des bases d’une fragilité extraordinaire, sans moyens face à un environnement qui voulait l’exterminer. A l’image de certaines personnalités de la IVème République que je cite longuement, comme Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la Défense, président du Conseil et grand ami de Shimon Pérès, ces hommes issus de la Résistance se faisaient un devoir éthique et moral de soutenir l’Etat d’Israël.

A partir de 1962, le Général De Gaulle et son ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, reviennent à une politique d’amitié avec les pays arabes, avec qui il fallait renouer des relations après la guerre d’Algérie. Mais ceci s’est fait au détriment d’Israël. Le discours dans lequel le général De Gaulle a parlé des Juifs comme d’un "peuple sûr de lui et dominateur" a été terrible et illustre bien cette période de tension. Ce renversement de la politique française à l’égard d’Israël a été ensuite poursuivie voir accentuée sous la présidence de Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing.

C’est en fait François Mitterrand qui comme je l’écris, "lève l’interdit", lorsqu’il se rend en Israël et prononce un discours devant la Knesset dans lequel il indique la volonté de la France de renouer des liens fraternels et amicaux avec Israël tout en reconnaissant que le peuple palestinien avait bien entendu le droit à l’existence dans des frontières garanties.

La période Chirac/de Villepin correspond à nouveau à un tournant "pro arabe" de la politique étrangère de la France qui de plus s’est traduit par un retour épouvantable à une politique délibérément anti-israélienne. La ligne sur laquelle je me place n’est pas du tout polémique, mais j’estime que l’on peut entretenir des relations cordiales, amicales et économiques avec les pays arabes tout en gardant des relations d’amitié à l’égard d’Israël. C’est d’ailleurs ce que parvient à faire Nicolas Sarkozy qui se proclame l’ami d’Israël et l’ami des Palestiniens.

Le lancement par le Président de la République de l’Union pour la Méditerranée, permettra t il selon vous de renforcer l’influence diplomatique de la France dans le règlement du conflit israélo-palestinien et plus généralement dans la région du Proche-Orient ?

Oui, tout à fait et le Sommet de Paris constitue à ce titre une réunion historique : le 13 juillet, la France a pu se remettre dans jeu proche oriental, dont elle était absente depuis longtemps. Il me semble impératif que cette nouvelle dynamique initiée par Nicolas Sarkozy soit poursuivie. Quand je parle du retour de la France dans le jeu proche oriental, il faut bien entendu élargir à l’Europe. De ce point de vue, il est important de noter que les circonstances actuelles liées à la fin de l’administration Bush et à l’élection du nouveau Président, empêchent les Etats-Unis d’exercer ce mandat presque exclusif, laissant ainsi davantage de place pour la diplomatie européenne. Même si à moyen terme rien ne pourra se faire sans les Etats-Unis, du fait de leur poids militaire, stratégique et politique, peut être qu’aujourd’hui Israël attend plus des Européens que des Américains pour le règlement du conflit.

J’ai pour ma part toujours été persuadé qu’Israël était beaucoup plus proche d’une culture européenne que d’une culture américaine. Les Israéliens ont d’ailleurs énormément regretté cette période où la France, pays de poids au sein de l’Europe, a tourné le dos à l’amitié franco-israélienne. Il me semble donc que chacun fonde aujourd’hui beaucoup d’espoir dans cette période qui s’ouvre.

Dans son blog, Noëlle Lenoir considère qu’Israël à aujourd’hui pris la place de l’Europe dans la politique étrangère américaine, dans le sens cet Etat incarnerait la défense de la démocratie et des valeurs occidentales. Partagez vous cette analyse ?

Oui, je partage tout à fait cette analyse. Quand vous considérez la région du Proche et du Moyen Orient, Israël représente le seule véritable démocratie. On ne peut pas en effet considérer que la Syrie, ni l’Iran soient des pays démocratiques. On ne peut de même pas considérer que l’Egypte soit une démocratie accomplie compte tenu du système de candidat unique et de des scores obtenus par Moubarak qui avoisinent les 90%.

Il est vrai qu’aujourd’hui la démocratie israélienne est quelque peu entachée par la personnalité d’Ehud Olmert, accusé de corruption et d’escroquerie. Mais justement, face à ce type de problème, la démocratie israélienne prendra les décisions qui s’imposent.

Qu’attendez-vous de la présidence française de l’Union ?

J’attends en premier lieu de la Présidence française qu’elle fasse adopter le traité de Lisbonne. Dans un second temps j’attend également une grande prudence à l’égard de pays qui pourraient être candidats à l’Union européenne et qui à mon sens compliqueraient beaucoup la tâche du projet européen. Pour ce qui concerne la Turquie, il me semble d’ailleurs que l’Union pour la Méditerranée règle hic et nun partiellement le problème en associant le pays dans de nouvelles structures de coopération.


 

Informations sur Paul Marcus
Docteur en histoire, Paul Marcusauteur est l'auteur du livre : Soixante ans d’amours contrariées. Les relations franco-israéliennes de 1948 à aujourd’hui, éditions du Cherche midi, Paris, juin 2008.
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