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Entretien du 2/07/08
Elmar Brok
Député européen (PPE-Allemagne)

L’Union européenne a besoin d’une véritable stratégie d’élargissement

 Le Cercle des Européens : La question de l’adhésion des pays des Balkans occidentaux figure en tête de votre document de travail. Redoutez vous que l’indépendance du Kosovo conduise à une détérioration durable des relations entre l’UE et la Serbie, au statut pays candidat "potentiel" ? Et comment envisagez vous les relations entre l’Union européenne et le Kosovo, sachant que certains Etats membres refusent de reconnaitre cette indépendance ?

Elmar Brok : Le but de ce rapport est de développer une stratégie commune à l’égard de l’ensemble des voisins de l’Union européenne, afin d’aborder efficacement les aspects internes et externes des élargissements futurs et de développer de nouvelles coopérations avec nos voisins. Cette stratégie offre un regard d’ensemble, elle ne traite pas de régions ou d’Etats spécifiques. Mais il est vrai que la définition d’une stratégie d’élargissement globale aura nécessairement d’importantes conséquences vis-à-vis des pays dont la dimension européenne a été reconnue, comme les pays des Balkans occidentaux.

Concernant l’avenir des relations entre l’Union européenne et la Serbie, il faut affirmer clairement que quelques soient les divergences européennes sur le Kosovo, l’UE ne permettra pas de tentatives serbes de déstabilisation du Kosovo. L’Union européenne devrait travailler conjointement avec ses partenaires de l’OTAN, ainsi qu’avec la Communauté internationale à travers l’ONU, pour trouver une solution globale, en mesure de renforcer la démocratie et les droits des minorités locales, quelles qu’elles soient, y compris des minorités serbes au Kosovo. Et j’espère vraiment que l’ONU et l’UE trouveront des arrangements pour permettre à la Mission EULEX d’entrer en fonction dès que possible. (Note du Cercle : la Mission "État de droit" au Kosovo, nommée EULEX Kosovo est la mission de l’UE appelée à remplacer la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK), déployée depuis 1999. Elle doit débuter ses actions à partir du 14 juin 2008.)

Je suis persuadé que les Serbes savent très bien qu’il est dans leur intérêt, aussi bien que dans celui de l’Europe, de voir la paix et la démocratie s’imposer au Kosovo. Il s’agit là d’une condition essentielle à l’intégration du Kosovo au sein de la région et de la communauté internationale. D’un autre côté l’UE doit également comprendre la difficile situation de la Serbie. Nous devons leur apporter notre aide. L’Accord de stabilité et de coopération ainsi que d’autres instruments doivent être utilisés pour montrer au gouvernement serbe et à la population notre plus profonde attention.

Dans votre document de travail vous affirmez que la Commission européenne s’est contenté jusqu’à présent de mettre en œuvre une simple "méthodologie"pour l’élargissement, définissant un ensemble de critères, mais sans réelle direction politique. Sur quoi devrait selon vous s’appuyer une véritable "stratégie pour l’élargissement" ? Quelles sont vos propositions concernant la politique de voisinages de l’UE ?

Nous avons en effet besoin de développer une réelle stratégie qui ne parle pas seulement de moyens mais qui induise une réelle discussion sur les objectifs de notre action. Les précédents élargissements ont pour la plupart été des succès, à la fois pour l’UE et pour les Etats qui nous ont rejoints. D’importants indicateurs montrent toutefois qu’un rythme aussi soutenu ne pourra pas être maintenu. L’Union et ses Etats membres doivent à présent proposer un projet très clair à leurs voisins, afin d’inclure les Etats qui ont une perspective d’adhésion, de répondre aux attentes de nos partenaires et par dessus tout, afin de tenir compte la propre capacité de l’Union à intégrer de nouveaux Etats.

Nous devons lancer une réflexion sur les possibilités de proposer aux pays voisins de l’UE des engagements plus efficaces et plus durables. Nous pourrions proposer aux partenaires de l’Union des cadres de coopération plus solides, soit comme une alternative à une pleine intégration, soit comme un premier pas vers des négociations d’adhésion. Un certain nombre d’options sont déjà en cours de discussion. Dans mon rapport je ne fais que citer certaines de ces options. "Un espace économique +", à l’image de ce qui a été fait entre l’UE et les pays de l’AELE (Association européenne de libre échange), permettrait de partager tous les bénéfices de l’union économique avec nos partenaires, sans pour autant les autoriser à prendre part au processus de prise de décision. Une politique de voisinage "renforcée", permettrait d’étendre notre espace de paix, de stabilité et de sécurité à l’ensemble des régions voisines de l’UE, sur la base de la politique actuelle mais avec des objectifs, des mécanismes et des moyens plus clairs. Certains parlent également de créer un "Commonwealth européen", sur le modèle du Commonwealth britannique. Les objectifs concrets, le cadre légal et les mécanismes de ces nouveaux concepts doivent encore être spécifiés. Dans cette perspective, le principal objectif de ce rapport est de lancer le débat sur ces questions.

Dernièrement, deux propositions précieuses ont été faites concernant des ensembles sous régionaux : la proposition française d’Union pour Méditerranée et l’initiative conjointe de la Suède et de la Pologne pour un partenariat renforcé avec les pays voisins de l’UE à l’Est. Le premier projet reviendrait à renforcer l’actuel processus de Barcelone à travers des projets de coopération concrets entre l’UE et ses partenaires du sud de la Méditerranée. Le second projet, qui concerne les pays de l’Est ayant une perspective européenne, propose la même chose que le premier mais en laissant expressément la porte ouverte à de futures négociations d’adhésion.

Dans tous les cas et pour chacun de ces nouveaux cadres de coopération, le mot d’ordre reste le même "tout partager sauf les institutions", comme l’avait déclaré Romano Prodi en 2000. Il est en effet très important aujourd’hui de combler le fossé institutionnel entre la politique de voisinage et la politique d’élargissement et d’autoriser nos partenaires à aller d’un cadre politique à un autre, s’ils respectent les conditions spécifiques.

Vous suggérez de confier à une commission formée d’experts européens et non européens le soin de réfléchir au nouveau modèle de relations entre l’UE et ses voisins ainsi qu’à à la stratégie d’élargissement. N’est ce pas déjà l’objectif du "Groupe de réflexion sur le futur de l’Europe", présidé par Felipe González ?

Nous devons réfléchir à l’Europe en terme global et stratégique. J’ai ainsi accueilli très favorablement l’initiative de la création du "Groupe de réflexion". Toutefois, ce groupe n’a pas mandat pour discuter des questions institutionnelles ou budgétaires, ni pour examiner les politiques existantes de l’UE. L’élargissement ne sera probablement abordé que comme une partie de la réflexion sur les politiques européennes. Or, je crois qu’il est temps de soulever la question de l’élargissement et de la politique de voisinage à part entière et de prendre en compte toutes leurs conséquences, de la plus abstraite à la plus technique.

Dans le cadre de la stratégie d’élargissement de l’UE, le Parlement européen accorde une importance centrale à la « capacité d’intégration » de l’Union, concept réaffirmé et précisé dans un rapport spécial de la Commission européenne présenté en novembre 2006 . Pouvez vous nous rappeler les principaux critères définissant la capacité d’intégration de l’UE ?

Les critères de Copenhague, qui constituent la règle du processus d’élargissement depuis 1993, mentionnent comme un facteur très important : "La capacité de l’Union d’absorber de nouveaux membres, tout en préservant la dynamique de l’intégration européenne". Ceci a ensuite été appelé "la capacité d’intégration" de l’Union, lors du Conseil européen de 2006, et défini comme la capacité de l’Union à fonctionner politiquement, financièrement et institutionnellement à mesure qu’elle s’élargit.

Cette condition posée aux élargissements futurs, reflète la capacité de l’Union, à un moment donné, à décider et donc à réaliser ses objectifs politiques, qui sont : promouvoir le progrès économique et social et un niveau élevé d’emploi dans ses Etats membres ; défendre son identité et sa capacité à agir sur la scène internationale ; promouvoir les droits et intérêts des Etats membres et des citoyens ; développer un espace de liberté, sécurité et justice au sein et autour de l’Union ; préserver et renforcer "l’acquis communautaire", tout en faisant respecter les droits fondamentaux et les libertés.

Nous devons prendre en compte tous les facteurs concernés : les facteurs budgétaires, qui déterminent si l’Union a les ressources d’aider de nouveaux Etats membres ; les facteurs institutionnels, qui concernent les capacités fonctionnelles de l’administration européenne à mettre en œuvre les politiques communautaires sur l’ensemble du territoire, sans pour autant devenir pléthorique. Les facteurs politiques sont certainement les plus importants parce qu’ils déterminent si les 27 Etats membres actuels et les potentiels nouveaux candidats veulent se lier ensemble à un projet politique commun. Il s’agit donc de savoir si ces Etats sont prêts à fusionner des parts substantielles de leur souveraineté nationale dans la perspective de les recouvrer dans un nouvel ordre global.

Dans votre document de travail, vous déplorez que certaines réformes introduites par le Traité de Lisbonne, en particulier concernant le système de vote au Conseil, n’entrent en vigueur qu’en 2014 et 2017. Considérez-vous que le report de l’application de cette mesure constitue un obstacle au fonctionnement efficace des institutions et à la prise de décision à 27 ? Le traité de Lisbonne fournit-il les bases adaptées à de nouveaux élargissements ?

Le compromis trouvé sur le traité de Lisbonne, en particulier concernant les aspects institutionnels et les règles de vote au Conseil, représente le meilleur compromis que l’on ait trouvé durant la Conférence intergouvernementale, à l’automne dernier. La question de savoir si nous aurions souhaité d’autres résultats ne se pose plus à présent : la traité doit être entièrement mis en œuvre, avec son calendrier spécifique et ses délais de mise en œuvre. Mais je tiens à dire clairement que le traité de Lisbonne règle certains problèmes institutionnels que nous aurions du régler bien avant l’élargissement de 2004. Ce traité permet en fait de régler les ultimes ajustements nécessaires à la réussite des derniers élargissements. En revanche, il ne prépare pas un nouvel élargissement majeur.

Vous affirmez que l’Union européenne a à présent impérativement besoin de davantage de consolidation et de cohésion. Quels enseignements le Parlement européen tire t-il des précédents élargissements et notamment du 5ème avec l’adhésion des 10 pays d’Europe centrale et orientale ? Comment l’UE peut elle assurer un meilleur suivi du processus d’adhésion ?

Je suis convaincu que les précédents élargissements ont pour la plupart constitué des succès à la fois pour l’UE et pour les pays qui nous ont rejoints. L’élargissement a été un moteur pour les réformes démocratiques, économiques et administratives dans de nombreux Etats européens avant et après l’intégration. Toutefois, les choses n’ont pas toujours évoluées comme prévu. Dans le cas de la Bulgarie et de la Roumanie, le choix d’intégrer rapidement ces deux pays pour encourager les réformes n’a, sur certains aspects, pas véritablement porté ses fruits. Depuis le 1er janvier 2007, date de leur entrée dans l’Union, les réformes n’ont pas avancées comme promis et comme nous l’avions envisagé. C’est pourquoi il y a présent un large consensus pour que dans la perspective de futures négociations d’adhésion, tous les chapitres, dont ceux concernant les réformes administratives et judiciaires, ou l’Etat de droit en général et la capacité, par exemple, à gérer correctement les fonds européens, soient abordés dès le début des négociations et que celles-ci permettent ensuite d’évaluer les progrès de chaque pays candidat par rapport à ses objectifs. Cela signifie qu’il ne faut plus que l’on ne procède à des adhésions par "paquet".

La France et l’Allemagne ont toujours joué un rôle majeur dans la construction européenne. La politique de Nicolas Sarkozy a semblé privilégier le couple franco-britannique au dépend peut être du couple franco-allemand. Quelle est votre opinion et que pensez vous de cette nouvelle orientation de la politique française ?

Je pense que c’est une très bonne chose que la France et la Grande-Bretagne se rapprochent. Tout d’abord toute coopération forte et productive au sein des Etats membres, en particulier entre pays qui auparavant ont pu paraître hésitants l’un envers l’autre, devrait être encouragée. Ensuite la France exercera bientôt la présidence du Conseil et cela fait partie du travail que d’entamer des dialogues étroits avec tous les membres de l’Union et en direction de toutes les tendances. L’Allemagne a d’ailleurs fait exactement la même chose durant sa présidence. Et je reste convaincu que ces deux pays n’oublieront jamais ce qui rend l’Europe forte. Je ne suis donc pas très préoccupé par l’état de la relation franco-allemande. Je suis sûr que le Président français sait combien la relation entre ces deux pays est importante et qu’il est quasiment impossible de faire avancer l’Europe sans l’axe franco-allemand. Cette relation a quelque chose de particulier, c’est le cœur et le moteur de l’Europe.


 

Informations sur Elmar Brok
Elmar Brok est Député européen (PPE-DE/Allemagne), membre de la commission des Affaires étrangères du Parlement européen, Rapporteur principal sur l’élargissement (1999-2008), coordinateur de politique étrangère du Parti Populaire Européen et président de la Commission fédérale des Affaires étrangère, européenne et de défense de la CDU. Il est l'auteur d’un rapport sur la stratégie d’élargissement de l’Union européenne, adopté par le Parlement en juin 2008, dans lequel il appelle l’UE à repenser les fondements et les objectifs de cette stratégie.
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