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Entretien du 27/05/08
Nicole Fontaine
Ancienne Présidente du Parlement Européen

A 50 ans, le Parlement européen a atteint sa pleine maturité politique

 Le Cercle des Européens : Le Parlement européen fête cette année ses cinquante ans. Le 19 mars 1958 se tenait en effet sa première réunion constitutive. Qu’évoquent pour vous ces cinquante années d’existence de cette assemblée hors du commun au regard de la construction européenne ?

Nicole Fontaine : Le Parlement européen a connu tout au long de ces cinquante années une montée en puissance qui s’est faite progressivement, qui est restée longtemps insensible notamment au regard de l’opinion publique et qui lui confère aujourd’hui un rôle incontournable dans le processus d’élaboration des lois européennes.
Pour moi, 3 étapes ont été particulièrement marquantes : l’élection au suffrage universel en 1978 grâce à la volonté de Valéry Giscard d’Estaing, la conquête du pouvoir de codécision dans le traité de Maastricht en 1992 et le récent traité de Lisbonne qui parachève cette conquête dans tous les domaines législatifs y compris en matière de Politique Agricole Commune et de budget.
On peut ainsi dire qu’à 50 ans, le Parlement européen a atteint sa pleine maturité politique.

Composé de 785 députés, issus de 27 pays, le Parlement européen est le seul parlement multinational au monde à être directement élu au suffrage universel. Cette institution de nature fédérale incarne la légitimité démocratique de l’Union européenne. Pourtant, si l’on en juge par le taux de participation aux élections européennes (environ 45% en 2004), le Parlement européen n’est pas parvenu à mobiliser les citoyens européens, comment l’expliquez vous et comment y remédier ?

Je le disais à l’instant, faute d’une bonne communication, les citoyens n’ont pas vraiment conscience du véritable rôle du Parlement européen. Certains ignorent même encore qu’ils sont appelés à élire tous les 5 ans leur député européen tant cet échelon de responsabilité leur apparaît lointain. Par ailleurs, le député européen élu le plus souvent dans de grandes circonscriptions a de la peine à se faire connaître et à valoriser son action. N’oublions pas que jusqu’en 2004, les députés français étaient même élus sur des listes nationales !
Dès lors, la visibilité est faible, les enjeux n’apparaissent pas clairement et les citoyens, soit restent chez eux, soit se défoulent à travers des votes essentiellement contestataires.
A tout cela, il faut avoir le courage d’ajouter que l’idéal européen s’est sensiblement émoussé au cours des dernières années et qu’il nous faudra beaucoup de foi et de pédagogie pour rallumer la flamme.

Député européen depuis 1984 et ancienne Présidente du Parlement européen, vous avez siégé au sein de l’assemblée européenne durant plus de vingt ans. Quel est le souvenir qui vous a le plus marqué ?

Beaucoup de souvenirs très forts jalonnent cette période. Parmi eux j’évoquerai bien sûr l’enthousiasme extraordinaire qui suivit la chute du mur de Berlin en 1989. Dès ce moment, nous avions compris, peut être plus que tout autre, que la réunification de la grande famille européenne -que les avatars de l’histoire avait séparé-, était le projet le plus exaltant que nous puissions porter et, en dépit des obstacles de toute nature, le Parlement européen n’a jamais failli à cet égard.
Je pense aussi, pendant ma Présidence à la venue hautement significative du Commandant Massoud en avril 2001 et aux évènements dramatiques (assassinat du Commandant Massoud le 9 septembre 2001 et tragédie du World Trade Center) que nous vécûmes intensément au Parlement européen. Je pense aussi à notre implication forte dans le processus de paix au Proche Orient et à la venue conjointe au cours de l’année 2000, également sous ma Présidence, du Président de la Knesset Abraham Burg et du Président du Conseil législatif palestinien s’exprimant ensemble en plénière. Je retiendrai enfin la sensibilité très forte de notre assemblée à l’égard de la défense des droits de l’homme, des minorités, des persécutés de toute nature et ceci s’est concrétisé à multiples reprises dans des prises de position fortes.

Le Parlement européen s’est prononcé, le 21 février 2008, à une forte majorité, en faveur du Traité de Lisbonne. Comment analysez vous cette étape franchie par l’Union européenne, après les deux ans de crise créée par le rejet du traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas ?

Naturellement, je suis de ceux qui ont infiniment regretté l’échec du référendum en mai 2005 et je pense que cet échec a largement contribué à casser la dynamique européenne au sein de nos opinions.
Dans ce contexte, le traité de Lisbonne dit "simplifié" a le mérite de remettre l’Union européenne sur les rails et de lui donner les moyens institutionnels d’agir efficacement dans les domaines où les citoyens attendent des solutions concrètes : politique énergétique, lutte contre le changement climatique, politique commune d’immigration pour n’en donner que quelques exemples.
Le traité de Lisbonne était nécessaire pour relancer l’Union mais il ne sera pas suffisant pour faire ressurgir le rêve européen. Pour cela, il faudra que les responsables européens aient un projet ambitieux à proposer aux peuples.

Ce traité comporte des avancées de nature à la fois intergouvernementale (Président du Conseil européen et Haut représentant pour les Affaires étrangères) et fédérale (accroissement des pouvoirs du Parlement européen). Comment vont se réaliser les nouveaux équilibres institutionnels, notamment du point de vue des relations entre le Président du Conseil européen, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangère et la politique de sécurité, le Président de la Commission et le Président du Parlement européen ?

Vous mettez l’accent sur un problème qui n’est pas négligeable : le risque de confusion, voire d’interférence, voire de conflit entre les différentes personnalités qui présideront aux destinées de l’Union européenne et dont certaines sont nouvellement crées par le traité de Lisbonne.
Le risque est d’autant plus réel que la fonction de Président du Conseil européen reste assez imprécise dans les textes et qu’elle sera fortement marquée par la personnalité qui sera choisie pour l’exercer.
A cet égard, le choix des personnalités sera évidemment essentiel. Si chacun et chacune d’entre eux porte la volonté forte de faire avancer l’Europe, alors l’entente s’imposera. Lorsque l’on regarde l’évolution des relations entre la Commission et le Parlement européen au fil des dernières années, on mesure à quel point le chemin a pu être positivement parcouru, dans l’intérêt général européen

Pensez vous que l’entrée en scène des parlements nationaux comme gardiens du respect du principe de subsidiarité puisse être source de blocage ?

Je ne suis pas du tout inquiète à cet égard. Là aussi, après une période où les parlements nationaux étaient réservés, voire hostiles à la construction européenne parce qu’ils avaient le sentiment d’être affaiblis dans leur pouvoir de législateur, ils souhaitent de plus en plus s’impliquer. Aujourd’hui la relation est excellente à tous les niveaux et j’approuve dans leur ensemble les projets de réforme d’Edouard Balladur à cet égard. Nous y gagnerons en lisibilité. (Note du Cercle des Européens : Le rapport Balladur sur la réforme de la Constitution française de 1958 comporte plusieurs propositions visant à faire du "Parlement un acteur de la politique européenne", dont la création d’un Comité des affaires européennes, la possibilité pour le Parlement d’adopter des résolutions sur toutes les questions européennes, ou une amélioration de la procédure de transmission pour examen par les parlementaires des propositions de directives.)

Le Parlement européen a traditionnellement porté un projet fédéraliste pour la construction de l’Europe. Le projet d’une Europe fédérale, rejeté par la majorité des pays (en dehors même du Royaume Uni qui a fait enlever du traité le mot "fédéral") vous semble t il encore réaliste ou souhaitable ?

J’ai regretté que les éléments fédérateurs contenus dans le projet de constitution aient été retirés du traité de Lisbonne...à la demande des britanniques !
Je crains qu’on ne retrouve plus l’occasion avant longtemps de faire progresser l’Europe fédérale. Il faudra s’y prendre d’une autre manière et en évitant le mot qui fâche...
Mais encore une fois, l’urgence est de redonner aux citoyens européens des raisons d’adhérer au projet européen.

La France va assurer la Présidence de l’Union européenne à partir du mois de juillet 2008, qu’attendez vous de ces six mois de présidence ?

J’attends de la Présidence française de la modestie et de l’efficacité (ce n’est pas incompatible !) et qu’elle soit inspirée pendant cette courte période de l’intérêt général européen.

Vous étiez Présidente du Parlement européen au moment de la présidence française de l’Union en 2000. Eu égard aux ratés généralement admis de la présidence française en 2000, quels sont les clés de la réussite de la présidence à venir ?

Le traité de Nice conclu en 2000 sous Présidence française a été en effet désastreux. Justement, j’avais observé que chaque gouvernement était arrivé à Nice plus préoccupé de préserver ses intérêts nationaux que de mettre en état de marche une Union qui allait devoir absorber douze nouveaux Etats. Il ne faut plus que cela se reproduise.

Votre parcours exemplaire symbolise le rôle des femmes au sein de la construction européenne. Comment analysez-vous l’importante présence des femmes, non seulement au sein du Parlement européen, mais de manière générale sur la scène politique européenne ?

La présence des femmes au Parlement européen a toujours été meilleure que dans les parlements nationaux : ceci peut s’expliquer par les modalités de constitution des listes. Ainsi aujourd’hui, même en France, nous avons une alternance homme/femme, ce qui était déjà le cas depuis plusieurs années dans d’autres partis (Verts) ou d’autres pays notamment les pays nordiques.
Sur la scène politique européenne, cette importance ne me semble pas si évidente et Madame Wallström, Commissaire européen, dénonçait à juste titre dans un récent article du Monde le fait qu’aucun nom de femme ne soit évoqué pour le poste de futur Président du Conseil européen.

Vous avez publié une brochure très pédagogique pour expliquer l’Europe aux citoyens. Comment effectivement sensibiliser les citoyens aux bienfaits de l’Europe ?

On ne doit jamais se lasser d’expliquer et la pédagogie s’impose d’autant plus que les institutions européennes sont complexes.

J’essaie toujours, lorsque j’écris, de me mettre à la place du lecteur en me demandant ce qu’il pourra comprendre et retenir de positif sur la réalité européenne.


 

Informations sur Nicole Fontaine
Députée européenne depuis 1984 (groupe PPE), Nicole Fontaine, l’une des deux seules femmes à avoir exercé les fonctions de Présidente du Parlement européen entre 1999 et 2002 (Vice-présidente de 1989 à 1999) . Elle a été Ministre déléguée à l’Industrie entre 2002 et 2004.
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