Logo CDE

Logo Cercle des Européens


Entretien du 1/04/08
Frank Baasner
Directeur de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg

La coopération franco-allemande n’est jamais allée de soi

 Le Cercle des Européens : Les différends franco-allemands qui se sont fait jour ces derniers mois - jugement sur les actions et le statut de la BCE, sur les contraintes à imposer aux industries automobiles en matière de réduction d’émission de carbone, sur le projet d’Union pour la Méditerranée etc. - sont-ils dus à une simple différence de style entre le Président français Nicolas Sarkozy et la Chancelière allemande Angela Merkel ou sont-ils révélateurs de divergences plus profondes ?

Prof. Dr. Frank Baasner : La coopération franco-allemande n’est jamais allée de soi. Il y a eu et il y a des différences de point de vue sur bien des dossiers clé. Pensons aux différences d’approches des relations avec les Etats-Unis, des questions économiques et financières, ou encore de l’interprétation du principe de subsidiarité, comme ligne de partage entre les compétences communautaires et les compétences nationales. Il est normal qu’au départ, l’analyse des grands dossiers politiques diffère d’un pays à l’autre, et la sagesse des dirigeants a justement consisté à trouver des compromis intelligents malgré ces différences. Le style des deux dirigeants allemand et français n’est en soi pas problématique. Tout dirigeant de stature internationale, du secteur privé comme du secteur public, sait que le dialogue "interculturel" peut être fondamental pour réussir. Si la différence de style d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy a rendu plus difficile la recherche des compromis, elle n’a fait que retarder l’examen au fond des questions, mais ne l’a pas empêché.

L’initiative de Nicolas Sarkozy sur l’Union méditerranéenne – qui devait constituer un des projets phares de la présidence française de l’Union - a suscité des réticences de la part de la Chancelière allemande y voyant une source dangereuse de division entre une France tournée vers la Méditerranée et une Allemagne tournée vers l’Europe centrale et orientale. Ces tensions ne traduisent-elles pas, selon vous, la fin d’une vision stratégique de l’Europe commune entre Paris et Berlin ?

Il est vrai que cette initiative, telle qu’elle a été présentée au début, ne pouvait plaire à ceux qui croient en une politique extérieure européenne commune. Nul ne conteste la nécessité d’une relance du « processus de Barcelone ». Toutefois, le danger d’une logique de proximité géographique (on a même entendu certains parler d’une « proximité culturelle spécifique ») est évident. Diviser - ne serait-ce que mentalement - l’Europe en zones d’influence pour les "grands pays" signifierait abandonner le projet d’une Europe politique apte à parler d’une seule voix. On reviendrait aux pratiques qui ont échoué dans les siècles passés. Voici pourquoi cette initiative, lorsqu’elle a été lancée, ne pouvait qu’alerter les responsables allemands pour qui une politique étrangère commune en Europe est justement destiné à éviter un conflit entre "grands" et "petits" pays au sein de l’UE.

La qualité et la continuité du dialogue diplomatique ne sont-ils pas plus importants dans les relations franco-allemandes que l’entente personnelle entre les leaders des deux pays ?

Les relations internationales sont tellement complexes aujourd’hui, et notamment dans un cas de bilatéralisme privilégié comme c’est le cas entre la France et l’Allemagne, que la bonne entente entre dirigeants n’est effectivement pas suffisante. On pourrait même dire que les relations franco-allemandes sont tellement diversifiées que la "crise" politique ne fait que retarder une entente toujours nécessaire. Pour répondre clairement à votre question : oui, il est vrai que chaque fois qu’il y a un changement de gouvernement en France ou en Allemagne, il faut un certain temps avant que les équipes diplomatiques comprennent leurs modes de fonctionnement respectifs. Le respect mutuel et l’acceptation de la diversité sont la seule formule qui permette des avancées européennes communes.

Comment analysez-vous l’annulation du sommet franco-allemand du 3 mars dernier (reporté en juin), sachant la forte signification politique de ces sommets qui s’inscrivent dans le cadre du "processus de Blaesheim" ?

Il ne faut pas dramatiser. La France était en campagne électorale pour les municipales, les enjeux étaient considérables. Et puis il y avait la rencontre lors de l’inauguration du Cebit (le salon mondial des technologies de l’information) juste après cette date, donc je ne vois pas de signification majeure. Ces rencontres bilatérales régulières au plus haut niveau ont surtout une vertu "pédagogique". Elle illustre la continuité de la relation franco-allemande de par la contrainte de se parler régulièrement. Les résultats peuvent sembler parfois décevants (on ne peut lancer des projets novateurs tous les six mois !), Mais c’est l’exercice qui est valable en soi. Aussi faudra-t-il veiller à ce qu’un tel report ne se transforme pas en mauvaise habitude.

A l’image de l’annulation du Conseil économique, prévue le 26 février, entre la ministre française de l’Economie, Christine Lagarde, et le ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück, n’est il pas inquiétant pour l’Union européenne que la France et l’Allemagne ne parviennent pas à s’entendre sur les questions économiques et monétaires dans un contexte mondial si perturbé et instable ?

Les contraintes externes sont telles que les Etats de l’Union européenne - notamment ceux de la zone Euro - doivent agir ensemble. N’oublions pas que la crise des subprimes aurait été encore plus dramatique dans bien des pays européens sans la monnaie commune. Les points de vue en Europe se rapprochent. La France et l’Allemagne ne sont pas seules. L’ensemble des pays de la zone Euro a une force considérable qu’il faut utiliser avec modestie et intelligence. Il faut aussi tenir compte du fait que la monnaie européenne prend progressivement la place qui était celle du dollar au XXème siècle, en tant que monnaie de réserve internationale. Dans ce contexte les débats entre responsables allemands et français sur les questions économiques et monétaires sont indispensables, même si parfois on peut estimer qu’il eut été plus sage que ces discussions se passent en tête-à-tête, plutôt qu’en public, ce afin de ne pas inquiéter inutilement l’opinion publique.

Le compromis passé entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel sur le projet d’Union pour la Méditerranée - finalement présenté comme une initiative franco-allemande lors du Conseil européen de Bruxelles des 13 et 14 mars – peut-il permettre de rétablir l’entente franco-allemande après des débuts difficiles ?

C’est un exemple typique du processus de concertation franco-allemande, à la seule différence, par rapport aux pratiques habituelles, que les divergences ont été discutées ouvertement. Ceci prouve que la manière volontariste de Nicolas Sarkozy peut avoir des résultats positifs pour l’Europe entière.

Qu’inspirent en Allemagne les priorités de la présidence française, à savoir : l’immigration, la défense, la lutte contre le réchauffement climatique et l’énergie ?

Les présidences actuelles, qui ne durent que six mois, ne permettent pas d’atteindre des résultats spectaculaires. Bien des projets européens d’envergure se préparent pendant 3 ou 4 présidences, le pays assurant la présidence en dernier ayant seul la chance de pouvoir récolter les fruits des projets préparés par d’autres. Donc, pas d’attentes démesurées. Il reste que les sujets annoncés sont parmi les priorités allemandes. Je ne vois pas pourquoi cette présidence ne devrait pas être une bonne présidence. Pensez-vous que la réussite de la présidence française sera liée à la qualité de l’entente franco-allemande ? Dans l’Europe à 27, le tandem franco-allemand n’a plus le même poids que dans une Europe à 6 ou même 15. Mais il est vrai que les grands dossiers avancent mieux et peuvent aboutir plus facilement si Allemands et Français se mettent d’accord. Disons qu’un différend franco-allemand sérieux risquerait de faire obstacle à une initiative européenne commune.

D’une manière générale, le couple franco-allemand constitue t-il encore le moteur essentiel de la construction européenne ? Son rôle doit-il être repensé dans une Union européenne à 27, voire demain davantage ?

Le rôle du partenariat franco-allemand n’a cessé d’être repensé. Cependant il est vrai que les deux derniers élargissements de 2004 et 2007 ont changé la donne. Il faut tenir compte aujourd’hui du vécu des pays qui avaient subi le système soviétique. Le fameux "Triangle de Weimar" ( Allemagne, France et Pologne) peut jouer un rôle utile dans certains domaines, mais les nouveaux Etats membres ne sont pas d’accord pour reconnaître à la Pologne le pouvoir de parler en leur nom. La géométrie est donc plus variable qu’avant. Il n’en demeure pas moins que, sans une entente franco-allemande préalable, aucune initiative européenne ne peut aller bien loin. Le défi pour les leaders allemands et français est donc de savoir associer un maximum d’autres pays européens aux initiatives discutés entre eux au préalable, sans trop afficher leur rôle de moteur qui reste néanmoins important.

Votre réponse très prudente ne paraît plus en accord avec la réalité politique actuelle. Le Président français à l’occasion de sa visite d’Etat à Londres les 26 et 27 mars dernier n’a-t-il pas en effet proposé une nouvelle manière de faire avancer l’Europe. Il la fonde sur l’émergence d’une nouvelle alliance franco-britannique, un nouveau couple moteur de l’Europe, qui se substituerait en quelque sorte au couple franco-allemand ? Cette orientation ne marque-t-elle pas un tournant majeur de l’histoire européenne ?

Non. On pourrait même dire que la tentative de créer un rapport privilégié avec l’Angleterre est un grand classique de l’aventure européenne. Mais il est également évident que le succès a été et sera modeste. Rappelons-nous le flirt de Gerhard Schröder avec Tony Blair quand le rapport avec la France semblait difficile. Soyons clair sur ce point : Si un leader politique européen réussit à faire de l’Angleterre un pays favorable à l’Union européenne, il mérite admiration. Mais avant que nous vivions cette réalité, la coopération des pays fondateurs, et notamment de la France et de l’Allemagne, aura fait bien des progrès. Il ne faut pas se laisser prendre par le jeu de l’opportunité politique. La coopération privilégiée franco-allemande est une nécessité objective.

Comment interprétez-vous ce virage de la politique européenne de la France ? Si virage il y a, quelles seront les conséquences sur la construction de l’Europe, dès lors que les britanniques sont eurosceptiques ?

La motivation est sans doute complexe. La politique intérieure d’abord, car cette manœuvre occupe les esprits et permet de faire oublier pour quelques jours la problématique budgétaire et la difficulté à faire passer les réformes pourtant nécessaires. Ensuite, il est certain que la coopération franco-allemande est perçue par l’équipe de Sarkozy comme étant difficile – on aimerait bien penser qu’avec l’Angleterre cela irait mieux. Mais il faut aussi voir une tentative très sérieuse d’impliquer l’Angleterre dans les grands projets européens, en particulier la défense et le développement durable.

Vous êtes membre du Conseil d’administration de l’Office Franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ.) En dehors même de la question des relations franco-allemandes et de l’avenir du couple franco-allemand en Europe, comment percevez-vous l’évolution de la coopération et du dialogue interculturel entre Français et Allemands ?

Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet. Je me limite à quelques éléments de réponse. Tout d’abord la réussite d’une telle coopération internationale n’est jamais un acquis définitif. Chaque génération doit faire des efforts spécifiques. Les programmes de l’OFAJ ont une importance indéniable pour favoriser la compréhension entre les Français et les Allemands. C’est la continuité de cette fonction pédagogique de l’Office qui porte des fruits. Au niveau de l’enseignement supérieur, l’Université franco-allemande fait un travail remarquable qui complète très bien les initiatives de l’OFAJ. Il est difficile de dire s’il y a « du progrès » dans la coopération franco-allemande. Ce que je constate au niveau des entreprises avec lesquelles je travaille, est encourageant. La conscience historique est grande mais ne met pas d’obstacle à un pragmatisme qui ne peut qu’être bénéfique aux entreprises. Nos différences culturelles sont perçues comme un enrichissement et non comme problème. Pour citer un exemple concret : le « Executive Master of Business Administration », (EMBA) organisé en partenariat entre l’ESSEC et l’Université de Mannheim, réunit chaque année environ 50 cadres dirigeants en venant de France, d’Allemagne et d’autres pays pour leur permettre de se perfectionner en gestion. Je peux vous assurer qu’en les regardant travailler ensemble sur les dossiers d’intérêt commun pour leurs entreprises, on n’a aucune raison de désespérer de l’avenir de l’Europe.


 

Informations sur Frank Baasner
Franck Baasner est Directeur depuis 2002 de l’Institut Franco-allemand de Ludwigsburg (institut de recherche et de documentation indépendant dédié à la recherche en sciences sociales et à la promotion de la coopération franco-allemande). Franck Baasner est consultant en communication interculturelle France-Allemagne et Allemagne-Italie, il est par ailleurs membre de l’Académie des Sciences à Mayence et membre du Conseil d’administration de l’Office Franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ)
Cercle des Européens

Pour une Europe unie…

Photorama

Partenaires

Copyright ©2024 Cercle des Européens | Tous droits réservés | Mentions légales | Politique de confidentialité | Réalisation inPhobulle

Ce site utilise Google Analytics. En continuant à naviguer, vous nous autorisez à déposer un cookie à des fins de mesure d’audience.