Logo CDE

Logo Cercle des Européens


Entretien du 15/02/08
Georges de la Loyère
Vice-Président de l'Autorité commune de contrôle de Schengen

Le fonctionnement de l’Espace Schengen repose sur la confiance entre les Etats signataires

 *Le système d’information Schengen (SIS) constitue un outil fondamental au fonctionnement de l’espace Schengen. Il permet à la fois de gérer les flux migratoires, notamment l’immigration clandestine, faciliter la coopération policière, judiciaire et consulaire entre les Etats Schengen et maintenir un niveau de sécurité élevé au sein de l’espace Schengen. Le SIS relie des fichiers nationaux rassemblant des données communes, notamment les signalements de "personnes spécifiques", par exemple faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, ou les signalements d’objets : véhicules volés, armes à feu, billets de banques volés ou égarés…

Le Cercle des Européens : En quoi l’espace Schengen représente-t-il un exemple type de l’intégration politique européenne ?

Georges de la Loyère : Pendant longtemps, l’intégration européenne s’est limitée à l’ouverture des frontières aux marchandises. Le citoyen ne se sentait alors que peu concerné. Deux éléments ont créé un sentiment plus fort d’appartenance à une même communauté : l’instauration de l’Euro et surtout la création d’un espace de justice, de liberté et de sécurité.

La liberté d’aller et venir est un progrès palpable pour les citoyens qui commencent à réaliser que les politiques d’immigration et de sécurité aux frontières sont communes. Cela se traduit par la définition d’un passeport européen, l’élaboration de visas communs, la définition uniforme du droit d’asile et la coopération renforcée entre les systèmes de police et de justice. C’est donc l’exemple type de l’intégration politique qu’il convient d’expliquer et de faire connaître.

C’est aussi un gage d’efficacité pour la lutte commune contre le terrorisme et le grand banditisme. L’Union européenne apparaît de plus en plus comme le cadre pertinent pour répondre à ces nouveaux défis.

En quoi consiste votre mission en tant que Président de l’autorité de contrôle commune de Schengen ?

GLL : L’autorité de contrôle commune de Schengen réunit les CNIL européennes qui veillent au respect des principes de liberté face à la généralisation des systèmes de fichiers informatiques. Elle vérifie la bonne exécution des dispositions prévues dans la convention quant au traitement des données personnelles introduites dans le système commun baptisé C-SIS. Elle élabore des propositions harmonisées quant à son exploitation. Elle donne des avis sur l’extension du champ d’activité avec en particulier l’introduction de données biométriques ou la gestion des flux d’entrée et sortie aux frontières communes.

Comme vous venez de le souligner, l’espace Schengen consacre de la façon la plus extensive la libre circulation qui est au principe de la construction d’un espace européen sans frontières intérieures, les contrôles ayant lieu aux seules frontières extérieures comme à l’intérieur d’un Etat. Depuis l’entrée de 9 nouveaux Etats au sein de l’espace Schengen en décembre 2007, les frontières extérieurs de l’UE ont reculé jusqu’à la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et les Balkans, faisant ainsi de l’Estonie, de la Pologne et de la Hongrie les nouveaux garde frontières de l’UE. Comment se passe le contrôle à ces frontières extérieures ?

GLL : Les nouveaux membres doivent progressivement se conformer aux règles de procédures qui font de chaque poste frontière un élément d’entrée à l’ensemble de l’espace européen.

Chaque état dispose d’un manuel de procédure qui lui impose la vérification des visas, les signalements éventuels de personnes indésirables ou recherchées, l’extradition de personnes en situation irrégulière ou l’arrestation de personnes soumises à une procédure judiciaire dans l’un des Etats de l’espace Schengen. Les procédures définissent également et de façon précise le contenu des alertes éventuelles et encadrent les possibilités et les conditions d’accès au système. Le fonctionnement de l’espace Schengen repose sur la confiance entre les Etats signataires. Les nouveaux Etats membres ont besoin de conseils et de soutiens pour se mettre rapidement au niveau afin de rentrer pleinement dans ce système de confiance.

L’agence Frontex dispose-t-elle suffisamment de moyens au regard de la mission qui lui est impartie ?

GLL : Dans cette nouvelle période, l’agence Frontex constitue un élément essentiel de soutien pour permettre aux Etats qui disposent de peu de moyens d’être parfaitement opérationnels sur les nouvelles frontières de l’Union, en particulier face à la Russie, les Balkans, l’Ukraine ou la Biélorussie. Il est à noter que ces nouveaux membres siégeaient déjà comme observateurs au sein de l’ACC Schengen et ont pu ainsi se familiariser progressivement avec les principes de la Convention.

Il est clair cependant que le rôle de l’agence Frontex est essentiel pour la réussite de l’opération et ses moyens doivent être fortement renforcés si on veut que la protection des frontières soit crédible.

L’application de ces règles va cependant poser des problèmes aux Pays Baltes et aux Polonais pour gérer les mouvements des travailleurs migrants. La définition de nouveaux systèmes encadrant la gestion des flux entrée-sortie devrait permettre de contribuer à régler cette question.

Le contrôle aux frontières extérieures à l’Espace Schengen a notamment pour but de lutter contre l’immigration clandestine et contre les mafias et trafics de tous genres ? Quel est à cet égard le bilan des instruments de l’espace Schengen (SIS Système d’information Schengen, l’agence Frontex , la Patrouille européenne de l’immigration clandestine..) ?

GLL : Le bilan des instruments de l’espace Schengen, bien que mal connu du citoyen européen est assez positif. La protection de l’ensemble du territoire est assez harmonisée et les décisions d’un pays quant à l’accès d’une personne sont appliquées de façon uniforme sur l’ensemble du territoire Schengen. Les possibilités de recours peuvent se pratiquer dans n’importe lequel des Etats de l’Union, ce qui implique une coopération étroite entre les autorités concernées des pays. Une décision de justice émise dans un des Etats s’applique à tout le territoire. De même l’intervention de la police à la poursuite de délinquants ne s’arrête plus à la frontière d’un des membres de l’espace Schengen. Des procédures de coopération policière sont prévues. Elles autorisent en particulier la poursuite extra territoriale sans passer par les mécanismes lourds et inopérants de l’entraide judiciaire dont le temps de réaction ne correspond pas aux nécessités de l’action.

De plus en plus, les Etats sont décidés à harmoniser leurs politiques face à l’immigration irrégulière et prennent conscience que le problème qui est devant eux leur est commun. La question de l’immigration sauvage par voie maritime avec les risques incroyables que prennent les personnes qui s’embarquent à partir des côtes africaines ne peut être réglée que par des patrouilles européennes dont le rôle est d’être dissuasif tout en assurant le secours à celles et ceux qui sont menacés de sombrer.

Le Système d’information Schengen (SIS) II a été élaboré dans la perspective de l’intégration des nouveaux Etats membres. En quoi consiste SIS II par rapport à SIS I ? Quels sont les motifs – et les inconvénients - du retard mis à l’application de SIS II qui ne verrait le jour qu’en 2009 ? Aurait-il fallu attendre que SIS II soit en place avant de procéder à un élargissement de l’espace Schengen à 9 nouveaux Etats ?

GLL : A l’origine le système SIS, base centralisée de données, a été conçu comme une mécanique relativement légère par les cinq signataires des accords de Schengen : les trois pays du Benelux, l’Allemagne et la France. Chaque pays dispose de sa propre base nationale et transmet les éléments vers cette base de données qui est située à Strasbourg et dont la gestion commune est assurée par les autorités françaises.

Les données qui figurent dans ce système d’information concernent des personnes, des objets ou des véhicules. La catégorie de ces données est strictement encadrée. Elles comportent pour les personnes l’identité, la nationalité, le degré de dangerosité, le sexe, contexte de l’alerte. Il peut s’agir de personnes à ne pas admettre dans l’espace Schengen, du signalement de personnes disparues, particulièrement les mineurs, de personnes menacées, de personnes à surveiller ou à contrôler spécifiquement et enfin de personnes recherchées par exemple dans le cadre d’une procédure pénale.

Le développement des techniques biométriques telles que l’enregistrement des photos scannérisées, les empreintes digitales ou l’enregistrement de l’iris de l’œil ont conduit les autorités européennes à se doter d’un système plus lourd et plus efficace capable de contenir ces données. C’est le SIS-II. Les retards de mise en œuvre sont liés aux difficultés à établir un cahier des charges tenant compte des évolutions récentes de la politique de sécurité au niveau de l’Union. Il faudra sans doute y intégrer tous les entrants et les sortants de l’Union européenne ainsi que les données contenues dans les éventuels visas de courte durée. Les personnes ainsi fichées seront peut-être au nombre de trente millions avec l’élaboration de mécanismes de sécurité permettant de respecter les durées de conservation, les systèmes d’alerte en cas d’anomalie et la possibilité des recours pour les personnes qui contesteraient leur introduction dans ces fichiers.

La mise au point sera complexe et laborieuse et nous vérifions que toutes les dispositions sont prises pour que les principes évoqués dans la Convention soient strictement respectés. La mise en place du SIS-II est donc moins liée à l’élargissement de l’espace Schengen qu’à l’extension de la masse des données collectées. L’un des problèmes que rencontrent les autorités de police est celui de la difficulté de l’utilisation des papiers personnels, lorsqu’ils existent, pour vérifier l’identité des personnes. L’introduction de données biométriques est considérée par tous les gouvernements des pays de l’espace Schengen, comme une priorité pour résoudre cette difficulté.

En attentant que ce système soit opérationnel, le Conseil Justice et Affaires intérieures de décembre 2006 a donné son aval à une extension du SIS baptisé SIS-one 4 all qui doit permettre grâce à quelques adaptations techniques de connecter les neuf nouveaux membres, préalable à la suppression des contrôles aux frontières intérieures. Cet aménagement a été réalisé dans un cadre assez tendu entre les membres participant à Schengen et les nouveaux membres qui souhaitaient voir leur adhésion prise en compte le plus rapidement possible, adhésion qui fut reportée à plusieurs reprises.
Formellement les neuf nouveaux membres sont maintenant intégrés. Ils ne le seront en fait totalement que le 1er Mars 2008.
Dans ce cadre, le Conseil a réaffirmé que le développement du SIS-II était la priorité absolue et qu’il devait être opérationnel en 2009.

Après l’harmonisation des conditions d’entrée et de visas dans l’espace Schengen, le Conseil européen de juin dernier est parvenu à un accord politique sur les mesures relatives à la création d’un système d’échanges d’information sur les visas (VIS). Quelle en est la portée pratique ? En tant que membre de la Commission nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) quel regard portez-vous sur la création de VIS, notamment du point de vue de l’utilisation des données biométriques et de la protection des données à caractère personnel ?

GLL : Le principe de l’accord sur les échanges d’information concernant les visas (système VIS) a une portée pratique considérable. Il consacre la politique commune d’immigration et en particulier la délivrance de visas de courte durée qui deviennent valables non seulement au niveau de l’Etat qui le délivre, mais au sein de l’espace Schengen tout entier. Cela entraîne une coopération étroite entre les consulats, voire une rationalisation de l’implantation de ces consulats à travers le monde puisque chacun d’entre eux pourra être le point de contact avec les demandeurs d’accès vers l’Union dans son ensemble et non plus vers l’un des Etats-membres en particulier. Il ne sera donc plus nécessaire de disposer dans chacun des pays-tiers de vingt-quatre consulats représentant chacun des Etats participant à la Convention de Schengen. L’Union européenne se présente ainsi comme une identité unique vis-à-vis des pays tiers.

Cependant la création du VIS soulève de nombreuses questions que la CNIL au niveau national comme le groupe de l’article 29 au niveau européen ont examinées. La question est celle de savoir quels sont les éléments pertinents qui doivent être conservés dans les fichiers et combien de temps ils doivent être conservés. Outre l’identité et les éléments biométriques de la personne détentrice du visa, peuvent être collectés des éléments concernant les personnes accueillant les immigrés, leur situation financière ou l’état de leur logement. Les autorités de contrôle nationales et européennes se sont émues de ces extensions. De même la conservation des données concernant les personnes dont le visa a été refusé peut poser un problème quant à la protection des données personnelles. Leur durée de conservation devrait pour le moins être strictement limitée.

En quoi l’espace Schengen favorise-t-il la coopération judiciaire et policière entre les Etats ? Pourriez-vous donner des exemples ?

GLL : L’espace Schengen introduit des éléments forts de coopérations judiciaire et policière qui viennent parfois heurter les pratiques et habitudes nationales.

Par exemple lorsqu’une personne est signalée comme indésirable dans un pays et que cette indication est transmise au SIS, cette décision s’applique dans tous les Etats de l’espace Schengen. Si la personne concernée veut exercer un recours contre cette inscription au fichier, elle peut le faire dans un autre Etat que celui qui a émis cette interdiction. C’est le tribunal compétent du pays où la personne a fait appel de la décision la concernant qui tranchera le litige en se rapprochant des autorités de l’autre pays. Il y a donc là la nécessité de coopérations étroites entre autorité de contrôle des données personnelles, chargées du droit d’accès au niveau national et autorité de police et de justice des différents pays concernés. Nous en sommes encore aux balbutiements tant les habitudes sont longues à prendre. Mais les choses évoluent rapidement et ce d’autant que la décision finale du tribunal concerné s’impose à tous. Notre rôle consiste à donner une interprétation en cas de conflit entre pays et à faciliter la compréhension des procédures.

La Convention prévoit par ailleurs l’échange de fonctionnaires chargés des contrôles de sécurité entre les différents pays. Elle autorise en cas d’urgence le franchissement d’une frontière sans autorisation préalable par des agents de police ou de gendarmerie, officiers de police judiciaire, à la poursuite de délinquants selon un certain nombre de règles de procédures. Cela implique là encore des coopérations judiciaire et policière très étroites entre les Etats.

Certains pays, Danemark, Irlande et Royaume-Uni n’appliquent pas toutes les dispositions de l’espace Schengen. Quelles en sont les conséquences ?

GLL : Les pays de l’Union, non membres de l’espace Schengen siègent dans notre autorité à titre d’observateur. Mais les règles communes s’arrêtent à leur frontière. Le Royaume-Uni et l’Irlande, du fait de leur insularité, sont un peu des cas particuliers. En tout état de cause, le franchissement des frontières entre eux et l’espace Schengen est presque équivalent à celui entre pays-tiers et Europe même si certaines coopérations existent.

Les Britanniques en particulier sont très réservés sur le principe d’un espace judiciaire européen. Ils considèrent que les principes de la Common law sont difficilement conciliables avec ceux du droit romain. Cela rend le fonctionnement de l’Union complexe alors même que d’autres pays non membres participent à Schengen : la Norvège, l’Islande et bientôt la Suisse. Ces derniers considèrent que la Convention leur permet de mieux garantir leur sécurité que s’ils restaient isolés. Pour nous Français, le partenariat avec la Suisse s’imposait et semble être assez exemplaire. Le fonctionnement de l’aéroport de Genève qui est partagé entre les deux Etats devrait par exemple être sensiblement amélioré.

L’espace Schengen doit-il être complété par la création d’un espace judiciaire permettant de lutter plus efficacement contre les filières d’immigration clandestine, et contre la criminalité transfrontalière en général ? Quels instruments supplémentaires de l’Espace Schengen souhaiteriez-vous voir mis en place dans l’avenir ?

GLL : Pour mieux lutter contre les filières d’immigration clandestine ou la criminalité transfrontalière, la Commission a proposé aux Etats-membres de renforcer le rôle d’Europol afin qu’il déborde largement de ses missions initiales de lutte contre le trafic de drogue. Aujourd’hui Europol dispose de fichiers centralisés et de méthode d’analyse afin d’identifier et de repérer les délinquants. Il peut participer conjointement avec les polices nationales à différentes opérations. De même la coopération entre les services de douane et l’échange d’informations, celle entre les services de renseignements et même les dispositifs récents mis en œuvre de recherche d’ADN ou d’empreintes digitales au-delà des fichiers d’un Etat de Schengen, renforcent l’efficacité de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité. Il reste à se doter de garde-côtes européens afin de faire la police en mer et secourir et dissuader les émigrants clandestins qui s’embarquent sur de vieux rafiots.

Il faut enfin multiplier les échanges de fonctionnaires de police des frontières et d’agents des douanes avec nos partenaires et particulièrement avec ceux des neuf pays qui viennent d’intégrer l’espace de Schengen. La France pourrait ainsi se montrer exemplaire.


 

Informations sur Georges de la Loyère
Georges de la Loyère est Vice-Président de l’Autorité de Contrôle Commune de Schengen (ACC) depuis le 2 mars 2006 et Commissaire de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), en charge du secteur international, depuis octobre 2004. L’ACC exerce un contrôle et vérifie le respect par les États participant au système d’information Schengen (SIS)* des droits accordés aux personnes.
Cercle des Européens

Pour une Europe unie…

Photorama

Partenaires

Copyright ©2024 Cercle des Européens | Tous droits réservés | Mentions légales | Politique de confidentialité | Réalisation inPhobulle

Ce site utilise Google Analytics. En continuant à naviguer, vous nous autorisez à déposer un cookie à des fins de mesure d’audience.