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Entretien du 10/12/07
Pierre Simon
Président de la CCIP

Le projet de Société Privée Européenne pourrait bien être retenu dans le cadre de la Présidence française de l’Union

 Le Cercle des Européens : La diversité des systèmes politiques au sein de l’Union européenne, fait que d’un Etat à l’autre le poids et les compétences des régions varient énormément ; entre un Lander allemand, qui constitue un quasi état, et une région française, les différences sont considérables. Du point de vue de la participation des régions au développement économique et à la compétitivité, y a-t-il selon vous un modèle d’organisation à suivre en Europe ?

Pierre Simon : Chaque pays a son organisation administrative qui est le reflet de son histoire. Dans cette perspective, il n’y a donc pas nécessairement de bon modèle. Cependant, il est vrai que l’on constate, d’une manière générale, le renforcement du poids des régions, et même si la décentralisation connait un rythme plus lent en France, c’est aussi le cas de notre pays. Et dans cette tendance européenne, je pense que certaines régions françaises gagneraient à se regrouper en entités plus larges pour atteindre une taille critique plus importante. En termes de compétences, on pourrait là aussi s’inspirer du principe de subsidiarité européen : il faut donner aux régions les compétences nécessaires pour encourager le dynamisme économique locale et laisser au niveau national (voir européen), la mise en œuvre de grands programmes.

LCE : En quoi les régions peuvent-elles participer à l’agenda de Lisbonne ?

PS : Dans le droit fil de ce que je viens de dire, les régions peuvent participer à l’agenda de Lisbonne en étant l’acteur des objectifs qui concernent l’échelon régional. Par exemple, les régions sont les bénéficiaires des fonds structurels européen. Il leur revient donc la responsabilité que ces fonds, dès lors qu’ils poursuivent un objectif de développement économique, soient employés dans le respect des objectifs de Lisbonne. Plusieurs des intervenants lors du congrès d’Eurochambres ont parlé de la régionalisation de Lisbonne. Si celle-ci est déjà faite depuis Bruxelles via la politique régionale, des efforts restent à faire par les régions elles-mêmes, en concertation avec l’Etat.

LCE : Contrairement aux Lander allemands, il est interdit aux régions françaises de prendre des parts dans des sociétés commerciales. Au moment où les difficultés rencontrées par EADS, l’ont conduit à lancer le plan Power de restructuration 8 (réduction d’effectifs et de sous-traitants), les présidents de régions en France avaient pourtant demandé que cela soit possible de venir ainsi en aide à EADS. Cette proposition vous parait elle intéressante ?

PS : Vous me voyez très réservé. En dehors des problèmes de concurrence posés par la prise de participation d’entités publiques dans des entreprises privées, la prudence est plus que de mise pour les raisons suivantes :
- la prise de participation est un acte difficile et professionnel qui exige des compétences financières et économiques que ne possèdent pas directement les collectivités territoriales ;
- le risque de prises de participations, même minoritaires, à motivation politique ou émotionnelle peut mettre en péril la bonne utilisation des deniers publics. Pour cette raison, je soutiens la contribution régionale à des organismes de prises de participation (SDR) ou la contribution à des fonds de garantie, les dossiers étant sélectionnés sur la base de critères économiques clairs.
- enfin, des participations cherchant à prendre le contrôle correspondent à des "nationalisations « archaïques ». On peut noter aussi les arrêts de la CJCE à l’encontre des privilèges dont disposent les Länder au regard de leur participations dans des entreprises allemandes (VW), que la Cour estime contraire à la liberté des capitaux.

LCE : Dans le cadre de la présidence de l’Union au second semestre 2008, la France entend promouvoir la création d’un statut de Société Privée Européenne (SPE), mieux adapté aux PME que le statut de la SE (Societas Europaea) défini par des textes communautaires d’octobre 2001. La CCIP, que vous présidé, soutien cette initiative. Pouvez vous nous en dire davantage sur ce statut de SPE ?

PS : La SE, qui reste réservée aux seules grandes sociétés, principalement celles faisant appel public à l’épargne, se présente comme un outil juridique relativement lourd, peu adapté aux PME. Dès lors, la "société privée européenne" (SPE) constituerait une forme sociale parfaitement complémentaire. C’est une proposition essentielle de la CCIP défendue depuis 1998 – date de l’élaboration commune avec le MEDEF (alors CNPF) d’un projet de règlement sur la Société privée européenne, ce à partir des travaux antérieurs du CREDA. Après un long lobbying réalisé conjointement par ces deux Institutions, fortement soutenu dans d’autres Etats et, surtout, relayé par Eurochambres et Business Europe, le Commissaire européen Mc Creevy a enfin annoncé la rédaction d’un draft de texte législatif dans la première moitié de l’année 2008. Et la SPE pourrait bien être retenue comme un projet clé dans le cadre de la Présidence Française de l’Union Européenne.

La SPE serait une structure :
- accessible à tous, tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales ;
- pouvant être constituée ab initio, pour encourager l’esprit d’entreprendre conformément aux recommandations de la Commission européenne ;
- nécessitant un capital social peu élevé, par exemple 10.000 euros ;
- caractérisée par la souplesse et la liberté contractuelle ;
- réellement supra-nationale en ce qu’elle serait régie par un règlement communautaire et les statuts, sans renvoi aux législations des Etats membres.

En définitive, la SPE offrirait aux PME un véritable « label européen » porteur de notoriété, de compétitivité et de dynamisme.

LCE : On reproche souvent à la France de ne pas suffisamment aider ses PME. Pensez vous que l’instauration d’un statut de SPE peut remédier à cette situation ?

PS : Ce constat doit surtout être fait à l’échelle européenne car, jusqu’à récemment, les PME ont été tenues à l’écart de l’élaboration d’un droit communautaire des sociétés, alors pourtant qu’elles constituent 90% du tissu économique européen et représentent deux tiers des emplois. Elles sont de plus en plus présentes sur les marchés internationaux, mais peuvent se trouver contraintes de créer des sociétés selon 27 droits nationaux différents, si elles souhaitent établir des filiales dans tous les Etats membres de l’Union. Bien évidemment, cette situation est complexe et coûteuse, notamment en frais de conseils.

Les PME ont donc besoin d’un véhicule juridique leur permettant de s’organiser en groupes ou en réseaux européens de sociétés, de constituer des entreprises communes européennes et d’opérer ainsi sous un « label » européen. Que les PME ne disposent pas aujourd’hui de cet outil est d’autant plus choquant, voire discriminatoire, que l’on assiste à la création des premières SE. Ceci étant dit, la SPE ne constitue que l’un des éléments d’une politique d’appui aux PME. Il serait inexact de dire qu’il n’y a pas d’appui de l’Etat aux PME, même s’il faut toujours faire plus.

LCE : Que pensez-vous de la proposition de la France de transposer en Europe un mécanisme inspiré du "Small business Act" américain, qui permettrait de réserver une part des marchés publics à des PME européennes ?

PS : La problématique du Small Business Act est un débat ancien qui part d’un constat : les PME accèdent moins facilement à la commande publique. Or, ce sont elles qui représentent les viviers d’emploi, ce sont elles qui impulsent l’innovation, ce sont elles qui ont la plus forte passion d’entreprendre. Et les marchés publics représentent de formidables opportunités économiques. Songez que cela correspond annuellement à 14 % du PIB de l’Union européenne ! C’est vrai que le secteur privé a parfois des a priori (sentiments de paperasserie inutile et d’un formalisme superfétatoire), mais, croyez-moi, les entrepreneurs sont nombreux à vouloir vendre aux personnes publiques. Alors, bien sûr, toute mesure permettant d’aider les PME à emporter les marchés publics ne peut que recueillir notre assentiment. Nous ne sommes pas favorables à un copier/coller du SBA mais la philosophie de ce texte doit guider les pouvoirs publics. Accompagner les PME, les aider dans leur meilleure connaissance des marchés publics… sont autant de mesures qui bénéficieront à l’ensemble des circuits économiques. Les Chambres de commerce et d’industrie sont d’ailleurs là au quotidien pour former et informer nos entrepreneurs. Elles doivent jouer un rôle majeur en ce domaine.

LCE : Cette proposition ne semble pas recueillir un écho très favorable auprès de la Commission et de plusieurs de nos partenaires. Comment l’expliquez-vous ?

PS : Encore une fois, la solution ne repose pas dans le copier/coller. Nous devons faire des propositions concrètes ayant des retombées favorables à toute l’économie de l’Union. Pourquoi ne pas suggérer de réserver 15 % des marchés publics à des PME européennes innovantes, par exemple ? C’est une des pistes que l’on pourrait envisager dans le cadre de la sollicitation que la Commission a annoncée début octobre et dont elle attend des retours concrets en matière de soutien des PME.

LCE : La vraie raison des difficultés de créer et de faire prospérer une PME en France n’est-elle pas liée à la faiblesse de la culture du risque, et surtout à la réticence des banques ou des fonds à investir dans le capital développement ?

PS : Développer la culture du risque revient à développer l‘esprit d’entreprendre. La chambre le fait dans toutes leurs écoles. Il faudrait parler « entrepreneurship », dès le secondaire. Il est en effet convenu de déplorer la frilosité des investisseurs français par rapport aux anglo-saxons. Le risque (rappelons que 46 % des nouvelles des PME cessent leur activité dans les 5 ans qui suivent leur création) et la rémunération du risque (à court comme à moyen terme, la rentabilité n’est pas assurée) expliquent en partie les difficultés du système français. N’oublions pas qu’aux Etats-Unis l’investissement en capital n’est pas le fait des banques mais de fonds privés. Il est pourtant essentiel de garantir aux PME un meilleur accès aux capitaux propres et aux capitaux d’emprunt pour accompagner la croissance des PME dans la durée, soutenir les « pépites » industrielles et faire émerger les champions de demain.

Un dispositif d’Etat « France investissement » de renforcement des fonds propres des PME (3 milliards d’euros) a été mis en place fin 2006 pour combler les défaillances de l’offre des marchés de capitaux afin de permettre aux PME de pleinement exploiter leur potentiel. Agroinvest (fonds de capital développement et transmission dans le domaine de l’agroalimentaire), Génopole 1er jour (fonds d’amorçage en biotechnologie adossé au Génopole d’Evry) et Avenir Entreprises Mezzanine ont bénéficié de ce soutien en 2007. Il faut amplifier le mouvement. Plus globalement, et suites aux turbulences sur les marchés, le gouvernement a engagé des discussions avec les professionnels en faveur du financement des PME pour une amélioration des relations. Les banques s’engagent à plus de transparence en publiant des informations détaillées sur les encours de crédits aux PME. Les assureurs ont pour leur part affirmé accroître leur investissement dans le capital des PME innovantes, en allouant notamment d’ici 2012 au plus tard, 2 % de leur actif à des actions non cotées contre environ 1,4 % aujourd’hui. Le renforcement de la Place financière de Paris est aussi une des clés de réussite. A ce titre, la labellisation récente du pôle de compétitivité « France innovation » mis en place pour développer la recherche et l’innovation financière devrait y contribuer.

Enfin, il convient d’aller encore plus loin en permettant aux PME de restaurer leur profitabilité, ce qui implique une réduction de la fiscalité sur les entreprises, la mise en œuvre d’un SBA à l’européenne et de passer en France en matière de délai de paiement d’une logique de crédit fournisseur à une logique de crédit acheteur comme en Allemagne.

LCE : La CCIP, Eurochambres a nettement pris position en faveur de l’instauration d’un régime fiscal européen dit de "base commune consolidée" en matière d’impôt sur les sociétés. En quoi consisterait ce système, et quel serait son intérêt ?

PS : Grâce à l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS), les entreprises pourraient calculer leur base imposable selon une même règle pour l’ensemble de leurs activités dans l’UE, plutôt que selon les 27 régimes fiscaux existants, ce qui permettrait de simplifier les procédures, d’avoir un système plus efficace en matière de conformité fiscale et de réduire leurs coûts administratifs. L’assiette consolidée serait distribuée entre les États membres conformément à un mécanisme de répartition équitable qui reste à déterminer. Les États membres conserveraient la pleine souveraineté en matière de recettes fiscales, puisqu’ils continueraient à fixer leurs propres taux d’imposition nationaux. Le projet d’ACCIS aboutirait à la création d’un environnement fiscal plus favorable aux entreprises et plus transparent qui pourraient alors exploiter pleinement le potentiel du marché intérieur et ne pas être devoir intégrer des comparaisons difficiles entre non seulement des taux mais des règles d’assiette divergentes et complexes, comme c’est actuellement le cas.

LCE : L’unanimité étant la règle en matière de fiscalité au sein du Conseil de l’Union européenne, ne faudrait-il pas envisager de mettre en place une procédure de "coopération renforcée" entre les Etats (ils doivent être au minimum 9) qui approuveraient la réforme ?

PS : L’augmentation du nombre d’Etats membres a pour conséquence une plus grande diversité au sein de l’Union européenne mais elle peut aussi constituer un obstacle à la construction européenne. La quasi-impossibilité d’obtenir un accord dans le domaine fiscal, en raison du droit de veto que confère à chaque État membre le vote à l’unanimité, légitime le recours à la coopération renforcée. Cette règle permettrait aux Etats membres les plus volontaires d’approfondir la coopération entre eux tout en offrant la possibilité aux autres Etats membres de les rejoindre ultérieurement. C’est à cette condition que le projet d’ACCIS pourra voir le jour.

LCE : Le traité réformateur va être signé en décembre et les ratifications vont débuter sans doute avec celle de la France tout de suite après. Quels sont de votre point de vue les principales avancées de ce traité ?

PS : Alors que nous avons vécu des élargissements importants depuis 2004, il est fondamental d’adapter les institutions à ce fonctionnement à 27. D’une manière générale, je salue donc que ce traité soit signé encore sous Présidence portugaise en décembre. J’en retiens une meilleure visibilité des institutions européennes vers le reste du monde (Président de l’Union, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité), le changement des règles de calcul de la majorité, le renforcement du lien avec le citoyen avec une plus forte association des parlements nationaux et la réduction de nombre de Commissaires. Ce sont des éléments favorables. Cependant, le traité n’est pas exempt de quelques paradoxes : une double majorité (voix et population) mais avec la possibilité d’invoquer les anciennes règles jusqu’en 2017, et le compromis de Ioannina, entre-ouvrant la porte à des minorités de blocage. La communauté des affaires aimerait une vision plus ferme des Etats membres sur l’avenir des institutions européennes, mais acte ce qui va dans le bon sens.


 

Informations sur Pierre Simon
Pierre Simon est Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) et Président d’Eurochambres. Directeur Général de l’Association Française des Etablissements de Crédit et des Entreprises d’Investissement en 1997, Pierre Simon est qualifié de "Monsieur Euro", lorsqu’il préside dans le cadre de ses fonctions, le Comité de Pilotage de l’Euro de la place financière. Depuis 1999, il est membre Conseil économique et social.
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