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Entretien du 3/10/07
Enrique Barón Crespo
Ancien Président du Parlement Européen

Notre volonté politique de renforcer l’Europe reste intacte

 Le Cercle des Européens : Monsieur le Président, vous représentez, avec deux autres collègues, le Parlement européen à la conférence intergouvernementale (CIG), chargée de rédiger le nouveau traité « réformateur ». L’Espagne avait ratifié le Traité constitutionnel par référendum. Que pense-t-on dans votre pays de l’abandon de ce texte ?

Enrique Baron Crespo : En Espagne, il y a une très forte identification entre démocratie, progrès et Europe, qui vient de la Constitution de 1978 et que les grandes forces politiques ont maintenu jusqu’à présent, c’est ce qu’on a pu constater lors du référendum. Les gens acceptent de faire un sacrifice pour aller de l’avant tous ensemble et donner un coup de main à ceux qui ont eu des problemes, comme la France et les Pays-Bas. En revanche, les Espagnols comprennent difficilement l’attitude de ceux qui, ayant signé le traité constitutionnel n’ont rien fait ensuite pour le faire ratifier et qui viennent maintenant avec de nouvelles exigences. Si on considère qu’on doit être loyaux et solidaires en Europe, alors c’est à eux de commencer à remédier à cette situation !

Dans votre rapport sur « la poursuite du processus constitutionnel de l’Union », adopté par Parlement européen le 7 juin 2007 , vous recommandiez la convocation d’une CIG avec un mandat clair. Quel est votre état d’esprit en tant que représentant du Parlement européen au sein de cette conférence intergouvernementale ?

Avant le Conseil européen de juin, le Parlement européen a en effet demandé la convocation d’une conférence intergouvernementale (CIG) sur la base du rapport que j’ai rédigé avec mon collègue Elmar Brok. C’est dans le prolongement du soutien apporté au traité constitutionnel que le Parlement européen a approuvé ce rapport. En dépit de certaines critiques sur le mandat donné par les chefs d’Etat et de gouvernement pour la rédaction du nouveau traité le Parlement européen a ensuite donné son feu vert à l’ouverture de la CIG. Je ne vous cacherais pas que cette étape représente un sacrifice politique, partagé par la plupart des Etats membres et des citoyens de l’Union européenne qui avaient déjà ratifié le traité constitutionnel. Mais nous devons continuer à avancer ensemble, dans cet incroyable projet historique qu’est la construction d’une communauté européenne dont nous venons de fêter le cinquantième anniversaire.

En participant à la CIG, vous voulez contribuer à la transparence de ses travaux afin de promouvoir le débat public. La complexité juridique des négociations et de la rédaction d’un nouveau traité ne rendent elles pas cette tâche difficile ?

Il est vrai que ce ne sera pas une tâche facile d’expliquer à nos concitoyens le résultat des changements apportés par rapport au traité constitutionnel. Même si l’essentiel à été préservé dans le nouveau traité, nous ne pensons pas qu’il faille faire preuve d’un optimisme béat et se contenter d’affirmer que rien n’a changé mis à part quelques détails. Changer un mot peut s’avérer crucial. Comme vous le savez l’être humain et la mouche ont en commun plus de 90% de leur ADN, il est pourtant clair que le résultat n’est pas le même !

Vous soulignez, dans votre rapport, l’importance de la participation du Parlement européen à la CIG et vous insistez sur votre intention de préserver les avancées en matière de droits des citoyens. Où en sont les négociations sur ces questions ?

Il y a en effet certaines questions en suspens qui, pour le Parlement européen, constituent des lignes rouges à ne pas dépasser et des conditions sine qua non à tout accord. La citoyenneté de l’Union, inscrite dans le Traité de Maastricht, est par exemple un concept clé, ratifié à de nombreuses reprises par les 27 Etats membres. Or on note la disparition, dans le projet de traité réformateur, de la référence à la citoyenneté au sein des dispositions générales fondatrices de l’Union. Même si la citoyenneté européenne est bien sûr maintenue, cette régression sémantique est inacceptable. Qu’est-ce qu’une « démocratie » qui ne nomme pas ses citoyens ? Cela mènerait à la conséquence absurde selon laquelle le Parlement européen représente le citoyen européen, sans que l’on sache pour autant -pour reprendre une formule d’Aristote- de quel type d’« animal politique » il s’agit.

La majorité des membres du Parlement européen et vous-même avez souvent affirmé votre intention de rester ferme sur la question de la Charte des droits fondamentaux. Quelle position défendez vous sur cette question ?

Notre position est qu’il faut respecter les définitions existantes dans les traités en vigueur. La Charte des droits fondamentaux, qui est une entité constitutionnelle en elle-même, fruit des travaux d’une Convention présidée par l’ancien président de la République fédérale d’Allemagne, Roman Herzog (ayant donc précédée la Convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing), ne peut être réduite à une simple déclaration, ni reléguée au rang de protocole en annexe au traité. La Charte des droits fondamentaux devrait être proclamée solennellement, par les trois institutions (Conseil, Parlement et Commission) avant ratification et publiée dans son intégralité dans la partie législative du Journal Officiel de l’Union européenne. Gardons à l’esprit qu’il s’agit du seul texte qui puisse être expliqué de façon réellement satisfaisante aux citoyens européens.

La Grande Bretagne a obtenu un « opt-out » sur la valeur juridique contraignante de la Charte des droits fondamentaux ainsi que sur le chapitre des compétences en matière judiciaire et la Pologne exige à présent la même dérogation. Ne craignez-vous pas une Europe « à la carte » ? Cela pourrait-il, à terme, remettre en cause le projet d’unification politique ?

Le protocole nº 7 prévoit, en effet, que la Charte ne s’appliquera pas à la Grande Bretagne et la Pologne veut bénéficier de la même dispense (on comprend difficilement cette demande de la part d’un pays qui vient de sortir d’une longue dictature). C’est regrettable pour les ressortissants de ces pays, mais nous sommes confiants dans le rôle des opinions publiques et de la Cour de Justice européenne qui devraient permettre, progressivement, d’aller dans le bon sens. Nous avons proposé à ces pays d’accepter d’ajouter un « opting in » de manière à ce qu’ils puissent changer d’avis sans que cela oblige à changer le traité et à refaire un tour des Etats membres pour obtenir les 27 ratifications nécessaires à un tel changement. Nous serons en tout état de cause très vigilants sur les risques de « pollution » négative du système législatif induit par la non application de la Charte dans certains pays.

En ce qui concerne le développement de l’espace commun de libertés et de justice, la négociation - particulièrement complexe - sur l’incorporation de l’acquis Schengen et sur les mesures de renforcement entre les membres de l’espace Schengen (14 pays dont la France et l’Espagne), vise à consacrer la dimension démocratique de l’Union et à freiner l’instauration d’une Europe « à la carte ».

Y a t-il d’autres lignes rouges, d’autres points sur lesquels le Parlement européen marquera son intransigeance ?

En plus de la citoyenneté et de la Charte, nous sommes particulièrement préoccupés par l’exclusion de tout contrôle du Parlement et de la Cour concernant le sujet très sensible de la protection de données. Nous sommes aussi préoccupés par les tentatives d’un contrôle du service extérieur (service chargé d’assister le futur Haut représentant pour la politique étrangère. Le traité constitutionnel prévoyait qu’il soit composé de fonctionnaires de la Commission, du secrétariat général du Conseil et des services diplomatiques des États membres) par le Conseil et par les dispositions introduisant des mécanismes de blocage dans le fonctionnement du Conseil. Nous voulons, en outre, préserver les avancées réalisées sur le terrain legislatif en appliquant le principe suivant lequel, à tout transfert de souveraineté doit correspondre un contrôle démocratique proportionné !

La CIG devrait avoir conclu ses travaux pour le prochain sommet européen des 18 et 19 octobre, afin de soumettre le texte à ratification courant 2008 et conclure le processus avant les élections européennes de juin 2009. Pensez-vous être en mesure de faire aboutir les demandes du Parlement européen tout en respectant ce calendrier ?

Je peux vous assurer, en tant que représentant du Parlement européen, que notre volonté politique de renforcer l’Europe en adoptant le traité réformateur reste intacte. Toutefois, nous voulons éviter que ce traité soit converti en un traité de « contre-réforme ». Nous serons prêts à agir au plus vite au moment d’approuver les résultats de la CIG. Quant à la ratification du traité, elle demandera des efforts coordonnées et rapides de manière à ce que le traité puisse entrer en vigueur à temps et dans une version satisfaisante. Nous ne renonçons pas à notre engagement à poursuivre résolument dans la voie de cette création continue qu’est l’Europe, mais une Europe forte et démocratique.


 

Informations sur Enrique Barón Crespo
Président du Parlement européen de 1989 à 1992, Enrique Baron Crespo est Député européen (Groupe PSE) depuis 1986. Il est ancien ministre espagnol des Transports, du tourisme et des communications (1982-1985). Il resprésente le Parlement européen au sein de la conférence intergouvernementale.
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