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Entretien du 15/09/07
Jean Paul Gauzès
Député européen (PPE-France)

La réalité financière est plus rapide que la règlementation

 Vous êtes député européen et un spécialiste reconnu des questions économiques européennes et particulièrement bancaires. Alors que la crise des "subprimes" américaines a été sur tous les écrans, elle a été insuffisamment expliquée dans les médias. Pourriez-vous revenir sur ses causes et ses conséquences ? A-t-elle été évoquée dans les débats au Parlement européen ?

Bien évidemment, la crise des subprimes a été évoquée au Parlement européen. Le Président de la BCE, Monsieur TRICHET, est venu, à la demande de la Commission des Affaires économiques et monétaires et devant elle, présenter son analyse de la situation.

Il n’est pas facile de résumer en quelques mots les causes de la crise. Les subprimes sont des prêts à risques, pratiqués aux USA. Ce n’est pas une catégorie nouvelle. La crise provient du fait que, très récemment, ces prêts ont été accordés plus facilement et à des emprunteurs peu solvables. Les banques ont pris des risques de plus en plus importants : aucun apport personnel de l’emprunteur, solvabilité réduite de l’emprunteur, différé de remboursement du capital, intérêts progressifs, parfois même amortissement négatif (le différé de paiement accroît le capital restant dû).

Les défaillances sont ainsi apparues plus massivement et plus rapidement après l’octroi des prêts que par le passé. Par ailleurs, la garantie immobilière fournie est souvent, dès l’origine et du fait des conditions financières du prêt, d’une valeur rapidement inférieure aux sommes restant dues. Si, dans ces conditions, l’emprunteur est défaillant, la banque qui se saisit du bien prend le risque de ne pas être intégralement remboursée, l’emprunteur reste débiteur et a perdu son bien. Et si de nombreux biens immobiliers sont mis en vente sur le marché en même temps, les prix s’effondrent accentuant ainsi les pertes immédiates de la banque et aggravant l’endettement résiduel des ménages.

Si la crise financière ne touche pas seulement les banques américaines prêteuses, c’est par le biais de produits financiers sophistiqués dont les risques réels ont été mal appréciés, y compris par les agences de notation. Aujourd’hui, du fait de la mondialisation des marchés financiers, dont les acteurs principaux sont en situation d’oligopole, le risque s’est diffusé et la correction des marchés s’opère dans les différents pays. Il s’y est ajouté une crise de liquidité entre banques d’une fait d’une perte de confiance réciproque. Les banques centrales et notamment la BCE ont donc été amenées à injecter des liquidités.

La question est de savoir si actuellement la correction est en voie d’achèvement ou si la crise est susceptible de durer. Les analyses divergent. Il est en tout cas très vraisemblable que les conséquences de la crise perdureront plus longtemps que ce qui avait été annoncé.

Par ailleurs, les propositions faites par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel vous semblent-elles aller dans le bon sens ? S’agit-il uniquement d’encadrer les hedge funds ou l’enjeu est-il plus grand, à savoir réglementer des activités bancaires qui ont atteint un niveau de technicité tel qu’il est difficile d’en appréhender les risques ?

Il convient effectivement de promouvoir une meilleure transparence sur les risques réellement encourus par les investisseurs. Mais cela est plus facile à dire qu’à faire en raison de la complexité des montages financiers et des produits proposés.

Le débat sur la position à prendre l’égard des « hedge funds » est une illustration de la difficulté d’appréhender les activités financières. La réglementation excessive peut freiner une créativité maîtrisée. Par ailleurs, la réalité financière est plus rapide que la réglementation. Dans ces conditions, le renforcement des codes de conduite peut être une solution pragmatique précédant une réglementation au cas où les intervenants n’en respecteraient pas les principes.
Une réflexion est également à poursuivre sur le rôle et la responsabilité des agences de notation dès lors que leur intervention est un passage obligé pour les promoteurs de produits financiers.

L’actualité européenne est fertile en sigles mystérieux. Vous avez été le rapporteur de la directive SEPA sur l’Espace Européen des Paiements. Quel en est l’enjeu ? Quels en sont les bénéfices pour le citoyen européen ?

En avril 2007, le Parlement européen a adopté en première lecture la Directive sur les services de paiement. Un compromis a, en effet, pu être trouvé en mars 2007 avec la Présidence allemande après plusieurs mois de négociation laborieuse entre les Etats membres.
L’accord avait été beaucoup plus facile à trouver entre les membres de la Commission économique du Parlement, puisque mon rapport a été adopté à l’unanimité (moins une abstention) le 12 septembre 2006.
La Directive Services de paiement a un objectif très large qui est celui d’instaurer un marché unique des paiements pour les 27 pays de l’Union Européenne. Il s’agit d’abord d’assurer un meilleur service des paiements en harmonisant les règles relatives aux paiements et, notamment, aux virements, aux débits d’office, et aux cartes bancaires. C’est dans ce cadre qu’ont été adoptées les règles permettant la mise en œuvre du SEPA qui est une initiative de la profession bancaire des pays membres de l’Euro. La Directive a aussi pour but de favoriser la concurrence en permettant à de nouveaux établissements (les établissements de paiement) d’intervenir sur ce marché.

Concrètement, la transposition des règles édictées par la Directive procurera au consommateur, utilisateur de services de paiement, des avantages réels : la possibilité d’utiliser la carte de débit dans l’ensemble de la zone euro, des virements bancaires plus efficaces dans un délai d’un jour, avec une transparence des tarifs et des informations précises, et une obligation de résultat pour l’établissement de paiement, la possibilité d’utiliser un seul compte bancaire dans l’ensemble de la zone euro, la possibilité d’utiliser des prélèvements automatiques dans l’ensemble de la zone euro.

La suppression des frontières en Europe a créé un besoin de protection du consommateur européen en général. Une action européenne forte en ce domaine vous paraît-elle un facteur de légitimité pour l’Europe ?

La réglementation européenne prend largement en compte les intérêts du consommateur. De nouvelles dispositions sont actuellement en préparation. Des résultats concrets ont été récemment obtenus : c’est le cas, par exemple, des règles européennes pour limiter le coût des communications téléphoniques transfrontalières. Dans un autre domaine, une Directive "Crédit à la consommation" est en cours de discussion. Les règles relatives aux fonds propres des compagnies d’assurances (Solvabilité II) seront l’occasion d’améliorer la situation des assurés face aux assureurs. Les recommandations contenues dans le Rapport de la Commission d’enquête sur les difficultés de la compagnie irlandaise Equitable Life dont les assurés ont subi d’importantes pertes seront certainement prises en compte par le Parlement européen : ce dernier est à l’écoute des préoccupations des citoyens. Ce qui se passe dans un pays peut nourrir notre réflexion au plan européen.

La protection des consommateurs est une source de légitimité pour l’Europe. Il est dommage que nos concitoyens en aient relativement peu conscience parce qu’ils sont mal informés par une communication défaillante sur l’Europe au quotidien.

Pour la première fois, la dette a été au coeur de la campagne présidentielle française.La question budgétaire est revenue comme un boomerang dans le débat public après les déclarations de François Fillon. Quelle part peut-on attribuer à l’euro fort dans cette situation ? Que pensent les Européens du bras de fer entre Paris et Francfort ? Enfin, la Francene respecte pas le Pacte de Stabilité, quelles en sont les conséquences sur le long terme ?

La dette de la France est une vraie préoccupation du gouvernement français. Sa réduction est un objectif de même que l’équilibre budgétaire et le respect du Pacte de stabilité et de croissance.

Le déficit commercial est également un élément défavorable. À cet égard, il faut souligner que ce ne sont pas tant les exportations qui en sont la cause, mais bien plus, les importations qui connaissent une croissance importante en raison de l’acquisition par les ménages de biens de consommation fabriqués hors de France et hors de l’Europe.

L’euro fort est neutre pour le commerce qui s’effectue au sein de la zone euro. Il est un avantage pour les transactions qui se règlent en dollars, ce qui est le cas pour l’énergie, et notamment pour le gaz et le pétrole. En revanche, il pèse pour les produits et les prestations dont les coûts sont payés en euros, et les prix de vente en dollars.

Jusqu’à présent, seule la France a critiqué l’euro fort et la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne. Ces critiques ont été dans l’ensemble mal perçues par nos partenaires européens, et notamment allemands, qui y ont vu une mise en cause de l’indépendance de la Banque Centrale Européenne à laquelle ils sont attachés. Aujourd’hui, la situation est en train de changer. Dans plusieurs Etats membres, des voix se font entendre pour souligner la pénalisation que constitue le niveau de l’euro par rapport au dollar, car c’est essentiellement de ce rapport-là qu’il s’agit, et bien plus, de la dépréciation du dollar que de l’appréciation de l’euro.
Il est maintenant vraisemblable que si cette situation apparaissait comme devant perdurer, des mesures devraient être prises pour corriger une parité trop déséquilibrée. L’Europe ne peut être contrainte de subir les conséquences financières et économiques de la crise américaine.

S’agissant du Pacte de stabilité, la volonté française est bien de le respecter pour autant que les objectifs fixés soient réalistes au regard de la croissance et des efforts à accomplir. Il reste que nos partenaires de l’Eurogroupe seront vigilants et demanderont que la démonstration soit faite de façon régulière que la politique budgétaire et économique française est orientée de sorte que soient atteints en 2010 les engagements pris par la France comme par les autres pays membres.

Une dernière question, centrée plus directement sur la relation entre la France et l’Europe : Comment perçoit-on le rôle de la France en Europe depuis le "non" au référendum ? Peut-on dire, comme on l’a entendu dans la campagne, que "la France est de retour en Europe" et ce "retour" en fanfare est-il bien perçu ? Enfin, qu’attendez-vous du nouveau Traité simplifié ?

Le non français au referendum, suivi du non néerlandais, a manifestement mis l’Europe en panne. Au Parlement, le non français a surtout suscité de la déception comme venant d’un pays qui avait toujours eu un rôle moteur dans l’Europe dont il est l’un des fondateurs.

L’élection de Nicolas Sarkozy a été particulièrement bien perçue car il s’est, durant la campagne électorale, clairement prononcé pour un retour de la France dans l’Europe et contre le recours au referendum sur les questions institutionnelles.
Le rôle important qu’a joué le Président de la République Française aux côtés de la Chancelière allemande et du Président de la Commission Européenne a permis de parvenir à un accord satisfaisant sur un traité simplifié pour sortir de l’impasse et améliorer le fonctionnement institutionnel de l’Europe. La reprise dans cet Accord des points les plus importants de la Partie I du projet de traité Constitutionnel est le gage d’un meilleur fonctionnement des institutions européennes.

Ce retour de la France a été manifestement très apprécié. Il devrait se concrétiser à l’occasion de la prochaine présidence française, dont on doit attendre une forte impulsion à la veille de la mise en vigueur espérée du traité simplifié et du renouvellement du Parlement Européen.

Il convient toutefois que la France ne perde pas de vue que dans l’Union à 27, il faut à la fois du dynamisme et des initiatives fortes, mais aussi un "jeu collectif" sans lequel les progrès attendus ne pourront se réaliser.


 

Informations sur Jean Paul Gauzès
Jean Paul Gauzès est député européen (PPE) depuis 1994. Membre de la Commission des affaires économiques et monétaires depuis son premier mandat , il est un spécialiste reconnu des questions économiques et financières européennes.
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