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Intervention du 25/06/07

Les enseignements d’un Conseil de rattrapage

Grace à l’accord trouvé entre les 27 lors du Conseil européen des 21/22 juin 2007, la crise est surmontée. Quelques enseignements positifs peuvent être tirés de ce Conseil de rattrapage. Mais quelle est l’Europe qui se profile pour les années à venir ? Incontestablement, l’intégration européenne marque le pas.

Rarement la métaphore de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine n’a été aussi appropriée. Pour les pro-européens que nous sommes, le Conseil européen des 21/22 juin 2007 n’est certainement pas une date historique. Rien à voir avec la Conférence de Messine lors de laquelle, en 1955, les Six pays fondateurs de l’Europe avaient jeté les bases du marché commun, comme solution de rechange à l’ambitieuse Communauté Européenne de Défense (CED) rejetée par la France en 1954 après avoir été initiée par elle deux ans plus tôt. Le traité européen qui sortira en effet des travaux de la Conférence Intergouvernementale (CIG) mandatée pour proposer un texte aux Etats membres à la fin de l’année 2007 sera loin d’être un traité refondateur. Il se dénomme d’ailleurs « traité modificatif » pour bien souligner l’absence de tout caractère constitutionnel attribué au texte.

Pour autant, ne nous plaignons pas. Le résultat de ce Conseil européen aurait pu être pire. Il aurait pu se solder par un échec pur et simple. Il aurait pu aussi conduire les Etats à ne conférer à la CIG qu’un mandat flou et incomplet, reportant de quelques mois le débat sur des divergences ayant toutes bonnes chances de s’exacerber avec le temps. Force est de le constater, l’accord conclu à l’arraché à 4 heures 30 du matin au sein du Conseil est une victoire de la présidence allemande de l’Union et plus particulièrement d’Angela Merkel. D’une part, il y a accord entre les 27, ce qui n’était pas acquis d’avance. D’autre part, cet accord n’est pas si réducteur qu’il n’y paraît dès lors que ceux qui en refusent les avancées les plus marquantes - tel que le Royaume-Uni dans le domaine de la coopération judiciaire et policière – se mettent en marge du traité. Si le traité modificatif apparaît en net retrait par rapport au traité constitutionnel, c’est surtout en raison de la disparition, à la demande du Royaume-Uni, de tous les symboles qui visaient à rapprocher l’Europe de ses citoyens. Les Britanniques ont obtenu en effet la suppression de tous les termes se référant à la nature politique du projet européen. Ne figure plus dans le texte, la référence au drapeau, à l’hymne européen, à la devise ; le titre de Ministre européen des Affaires étrangères est remplacé par celui de « Haut représentant de l’Union pour la politique étrangère et la politique de sécurité » ; les notions de « loi » et « loi cadre » européennes disparaissent au profit du maintien des mots classiques de « règlement » et « directive » ; enfin, et sans que le fond soit modifié, il n’est plus fait allusion à la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux, pourtant la clé de voûte de l’édifice européen. La France, elle, pour répondre aux inquiétudes manifestées lors du Non au référendum sur le traité constitutionnel, a obtenu que « la concurrence libre et non faussée » ne soit plus mentionnée parmi les valeurs de l’Union. Mais là encore, on ne voit pas la réelle portée juridique de cet amendement dès lors qu’il est fait référence à l’Europe comme une « économie de marché hautement compétitive » et que les compétences de la Commission en tant qu’autorité de la concurrence sont inchangées.

Pour le reste, les changements majeurs sont institutionnels avec l’attribution à l’Union européenne d’une personnalité juridique (évitant le morcellement des interventions de l’Union entre ce qui relève du communautaire, de la politique étrangère et de défense, et de la Justice et de la Sécurité), l’instauration d’une présidence de l’Union pour deux ans et demi (remplaçant la présidence tournante de six mois), la création d’un service diplomatique (formé d’environ 300 diplomates de tous les Etats membres), et l’extension du vote à la majorité qualifiée entre Etats à de nouveaux domaines de compétences. C’est d’ailleurs sur ce point que les discussions ont failli faire achopper le Conseil. La solution a été trouvée dans un double compromis. Le Royaume Uni dispose, d’une part, d’une possibilité d’opt out pour ne pas appliquer les dispositions en matière de coopération judiciaire pénale et de coopération policière. A la demande de la Pologne, la mise en œuvre du nouveau système de vote à la double majorité – largement fondé sur le poids démographique des Etats- est de facto reportée à dix ans, au 1er avril 2017. Dix ans, c’est long et on peut espérer que d’ici là, des Etats comme la Pologne auront apaisé leurs inquiétudes et se seront acclimatés à l’Europe et à l’esprit communautaire. Un apport notable du traité modificatif : la Charte sur les droits fondamentaux de l’Union acquiert une valeur obligatoire, comme l’Allemagne le souhaitait. Des précautions seront prises également vis-à-vis du Royaume Uni. La crise est donc surmontée. Mais quelle est l’Europe qui se profile pour les années à venir ? Incontestablement, l’intégration européenne marque le pas. Toutefois, on peut tirer quelques enseignements positifs de ce Conseil de rattrapage :

• En premier lieu, le couple franco-allemand n’est pas mort, et il risque même de prendre une place grandissante si les Britanniques n’arrivent pas à résoudre la crise identitaire de leur opinion publique face à la construction européenne.

• En deuxième lieu, ce couple ne doit et ne sera pas exclusif. Le nouveau traité ouvre à cet égard la voie à une Europe « à géométrie variable » en consacrant la possibilité pour 1/3 des Etats (9 sur 27) de créer des « coopérations renforcées » dans certains domaines pour aller de l’avant en attendant que les autres se joignent au peloton. On peut penser bien sûr au domaine judiciaire et de la coopération policière, à la fiscalité ou encore – pourquoi pas – à l’énergie.

• Troisièmement, l’Europe qui s’annonce sera rééquilibrée en faveur des Etats à travers, non seulement le président stable du Conseil de l’Union, mais surtout le contrôle renforcé (par rapport au traité constitutionnel) des parlements nationaux sur la subsidiarité. Ce dispositif tout à fait nouveau, introduit à la demande des Pays-Bas, prévoit la possibilité d’un blocage d’une législation européenne si une majorité des parlements nationaux le souhaitent et si 55% des membres du Conseil ou la majorité simple du Parlement européen en est d’accord. D’un côté, ce mécanisme est un important recul de la méthode communautaire. D’un autre côté, il devrait permettre d’instaurer un dialogue indispensable entre les parlementaires nationaux et leurs homologues européens.

• Enfin et en quatrième lieu, il faut espérer que la création du « Haut représentant de l’Union pour la politique étrangère et la politique de sécurité », conjugué à l’attribution à l’Union elle-même d’une personnalité juridique, permettra à cette dernière de peser davantage sur la scène internationale, en habituant les Etats à se sentir solidaires face à un monde qui change plus rapidement que l’Europe et dont les centres de pouvoir économiques et politiques se déplacent.

Car l’enjeu de l’Europe, de son modèle et de ses valeurs, est global.

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)
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