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Intervention du 21/09/07

La Belgique et le destin de l’Europe

Plus de 100 jours après les élections du 10 juin dernier, la coalition censée prendre les rênes du pouvoir n’a pu être formée. L’image de la Belgique d’aujourd’hui est celui d’un Etat déchiré par des conflits linguistiques devenus quasi-ethniques. Cette situation nous interpelle. Cela nous amène en tant qu’Européens à nous interroger sur la pérennité du modèle institutionnel de l’Union européenne.

Celle-ci reste une somme d’identités nationales avant d’être une communauté de citoyens unis par l’affectio societatis, le « vouloir vivre ensemble. »

Chronique parue dans le journal La Tribune, le 21 septembre 2007

« En Belgique, la situation est désespérée, mais pas grave » ; ce dicton pourrait bien cette fois-ci être démenti par la réalité politique. Plus de 100 jours après les élections du 10 juin dernier, la coalition censée prendre les rênes du pouvoir n’a pu être formée. Le Premier ministre sortant, Guy Verhofstadt, est toujours chargé de la « gestion des affaires courantes. » Cette situation est paradoxale lorsqu’on se souvient du rôle historique joué par ce pays fondateur de l’Europe. N’oublions pas que c’est Paul-Henri Spaak , ministre belge des affaires étrangères, qui, aux lendemains du non français à la Communauté européenne de défense (CED), a remis l’Europe sur les rails en traçant la voie vers le traité de Rome et le marché commun. Marché commun veut dire solidarité. Pourtant, l’image de la Belgique d’aujourd’hui est celui d’un Etat déchiré par des conflits linguistiques devenus quasi-ethniques, le Roi – symbole d’unité – ne parvenant plus à réconcilier une classe politique se radicalisant par media interposés.

Le fait qu’après près de deux siècles d’existence, la Belgique se remette de cette manière en question n’est pas une totale surprise. Dès sa naissance en 1830 lié aux mouvements révolutionnaires de l’époque, le pays a connu des tensions entre communautés flamande et wallonne largement héritées des influences séculaires, successives ou conjointes, des Français et des Néerlandais. A la politique de francisation forcée menée par la Révolution française et par Napoléon Ier avait succédé l’imposition décidée Guillaume d’Orange du néerlandais comme langue officielle du Royaume. C’est pourquoi le plurilinguisme s’est progressivement affirmé comme le socle des institutions politiques belges. C’était la clé de la paix civile. Il a entraîné la création de communautés et de régions linguistiques en 1970 dans le cadre d’un Etat unitaire, puis la transformation de la Belgique en Etat fédéral en 1993. Avec trois régions (Flandre, Wallonie et Bruxelles-Capitale), trois communautés linguistiques (Française, Flamande et Germanophone), sept Parlements et sept Premiers ministres, le modèle du fédéralisme belge est celui du « communautarisme constitutionnel. » Si bien qu’il n’existe pas en Belgique de partis politiques nationaux, chaque parti étant scindé par appartenance linguistique. La logique française est toute différente comme en témoigne la décision du 15 juin 1999 sur la Charte des langues régionales et minoritaires, par laquelle le Conseil constitutionnel a rappelé que la Constitution française s’opposait « à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance. » L’exemple belge semble indiquer que loin d’œuvrer à des compromis, le communautarisme peut être un terreau pour l’affrontement en cristallisant les vieilles rancunes. Il ouvre un boulevard à ceux qui parmi les Flamands prônent le séparatisme comme réponse à ce qui dans le passé a été ressenti comme des brimades de la part de francophones autrefois dominants dans la sphère économique et politique.

Cette situation nous interpelle. La Belgique est un pays qui compte en Europe et dans le monde. Mais surtout, cela nous amène en tant qu’Européens à nous interroger sur la pérennité du modèle institutionnel de l’Union européenne. Celle-ci reste une somme d’identités nationales avant d’être une communauté de citoyens unis par l’affectio societatis, le « vouloir vivre ensemble. » Le regain du nationalisme aux quatre coins du continent accentue cette vision. L’Union se rapproche d’une fédération d’Etats au sein de laquelle au demeurant aucune décision concernant le régime linguistique ne peut être prise sinon à l’unanimité (c’est bien sur la question linguistique que les discussions sur le brevet communautaire ont achoppé et n’ont toujours pas abouti depuis 25 ans. ) Il ne s’agit pas de renoncer aux identités nationales. Mais si les Etats n’avancent pas plus vite ensemble, l’Union pourrait glisser vers la confédération. Or le système confédéral, comme l’histoire récente le confirme, n’est pas durable. Le premier enseignement à tirer de la situation belge, c’est donc la nécessité pour les responsables européens de décider jusqu’où ils sont prêts à bâtir une réelle collectivité de citoyens ; seule garantie du développement durable de l’Europe.

Le deuxième enseignement a trait au statut de Bruxelles, région bilingue formée de 19 communes. Avant même d’être le siège de la Commission européenne et du Conseil, Bruxelles a été une ville internationale ouverte à toutes les nationalités. Victor Hugo y avait trouvé refuge après le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Depuis 1958, Bruxelles – capitale phare - est encore moins une ville comme les autres. Une partie de l’opinion publique belge ne serait pas hostile à la doter d’un statut international : un « district of Columbia » européen ? Au-delà même de Bruxelles, l’avenir de l’Europe passe par la Belgique.

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)
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