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Intervention du 27/02/08

L’avenir de la "Societas Europaea" ou SE

Une société commerciale disposant d’un statut pleinement européen, et non pas seulement d’un statut national reconnu dans les autres Etats membres : voilà ce que souhaitait créer le législateur européen en imaginant la Societas Europeae (SE).

Avocate à la Cour de Paris et ancienne ministre, Noëlle Lenoir retrace la longue marche vers l’émergence juridique de la SE pour décrire ensuite les dispositions pratiques de ce statut.

Avocate à la Cour et ancienne ministre des affaires européennes, Noëlle Lenoir est l’auteur du rapport : "La Societas Europaea ou SE. Pour une citoyenneté européenne de l’entreprise.", remis au garde des Sceaux le 19 mars 2007.

Sommaire de l'article

Introduction
La longue marche vers la mise en place du statut de la SE
Un statut communautaire, mais un ancrage national

1 - Comment créer une SE ?
1.1 Des conditions renvoyant à la mise en œuvre d’un projet véritablement européen
1.2 Des modalités de création strictement encadrées

2 - Comment gérer et développer une SE ?
2.1 Des modes de gouvernance partiellement harmonisés
2.2 La mobilité, principal atout de la SE
2.3 La SE a vocation à réaliser des fusions transnationales

3 - Conclusions
 

Extrait de l’article

La longue marche vers la mise en place du statut de la SE

Après des décennies d’intenses débats entre les Etats, la “Societas Europaea” (SE) est enfin née. Son statut est régi par deux textes communautaires en date du 8 octobre 2001 : Le règlement CE n° 2157/2001 (ci-après le Règlement) qui organise son statut de droit commercial et la directive CE n° 2001/86 qui définit, au plan du droit social, les conditions de l’implication des travailleurs nécessairement attachée à ce statut. A ces deux textes qui concernent spécifiquement la SE, il faut ajouter la directive du 17 février 2005 modifiant la directive du 23 juillet 1990 portant sur “un régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents”, visant toutes les sociétés de capitaux . Cette directive consacre la “neutralité fiscale” des opérations transfrontalières menées en Europe, que la société concernée décide de transférer son siège d’un Etat à l’autre, ou qu’elle soit absorbée dans le cadre d’une fusion par une société située dans un Etat autre que le sien. Visant toutes les sociétés de capitaux, ce texte a vocation à s’appliquer plus particulièrement aux SE en raison des facilités de mobilité intracommunautaire que leur offre leur statut.

L’idée de créer des sociétés de statut communautaire, bénéficiant d’une liberté de circulation sur le marché européen comparable à celle dont les sociétés de droit local jouissent sur leur marché domestique, est ancienne. C’est en effet dès 1949 qu’au sein du Conseil de l’Europe fut envisagé un statut de “compagnies européennes” censé contribuer, à travers le regroupement des facteurs de production, à la reconstruction économique d’un continent qui ne s’était pas totalement relevé de la guerre.

On retrouve là l’inspiration qui conduira, peu de temps après, à l’institution, de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) par le traité de Paris du 18 avril 1951. Dotée d’une Haute Autorité aux pouvoirs supranationaux, la CECA avait pour objectif la mise en commun des moyens indispensables au développement industriel de l’époque. L’établissement du marché commun, dans le cadre de la Communauté économique européenne (CEE) issue du traité de Rome du 25 mars 1957, a répondu à ce même souci de créer des solidarités de fait entre les Etats membres et entre leurs ressortissants. Il s’agissait non seulement de prévenir tout nouveau conflit, mais également de soutenir la croissance, source de bien-être pour les populations. C’est dans cet esprit que le projet de créer un statut de société européenne en mesure de se déployer librement à l’échelle du marché unique a été repris après 1958.

Le projet a toutefois été mis en sommeil jusqu’à un mémorandum présenté par le gouvernement français en 1965 , incitant la Commission européenne à s’emparer véritablement du sujet. Un groupe d’experts, juristes de haut niveau, est alors chargé d’élaborer un texte. Le rapport de ce groupe, présidé par le Professeur Sanders , est rendu public en 1967. Il marque un tournant. Pour la première fois, le statut de la SE faisait l’objet de propositions aussi précises qu’innovantes. Aussi la Commission suivit-elle la plupart des suggestions du rapport Sanders qui sont reflétées dans ses premières propositions de règlement de 1970 puis de 1975.

Il a toutefois fallu encore 30 ans avant que la SE ne voit le jour. Jamais dans l’histoire de l’Europe, une législation communautaire n’aura connu une gestation aussi longue.

Cette lenteur inégalée du processus d’adoption du statut de la SE tient du paradoxe. Logiquement, les besoins du marché unique auraient dû encourager le législateur communautaire, en particulier les Etats au sein du Conseil, à accélérer la mise en place de la SE pour faciliter le déploiement de leurs entreprises dans l’espace économique européen . De manière générale, la priorité aurait dû être de favoriser à cet effet la mobilité des entreprises sur le marché.

Il n’en a pas été ainsi. Par “patriotisme économique” plus ou moins avoué, ou par désir (que l’on peut comprendre) de préserver leurs ressources fiscales, les Etats ont eu - et ont toujours - du mal à admettre que les entreprises disposent d’une réelle liberté de mouvement dans l’Union. Le droit d’établissement des personnes morales, pourtant clairement affirmé à l’article 43 du traité instituant la Communauté européenne (traité CE) , se heurte encore à des obstacles et ce, malgré les notables avancées de la jurisprudence récente de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) . Quant à la SE, en tant qu’entité juridique transnationale, son statut n’a été finalisé qu’après des décennies de discussions acharnées et au prix d’un compromis qui, il faut l’avouer, n’est pas parfaitement satisfaisant. D’où le paradoxe suivant : en dépit des impératifs du marché, les individus ont plus de facilité que les entreprises pour se déplacer sans contraintes (notamment dans l’espace Schengen) .

Dès l’origine, la Communauté s’est en effet montrée soucieuse de donner à la liberté de circulation des personnes physiques, prévue par l’article 39 du traité, sa pleine efficacité. En attestent à la fois les textes de base adoptés dès les années 60/70 et l’abondante jurisprudence de la CJCE. Impliquant au départ avant tout les travailleurs, puis étendue à leurs familles et à d’autres catégories de personnes (étudiants, titulaires de pensions et de rentes et tout citoyen de l’Union en général), cette liberté de circulation est très large s’agissant des emplois salariés et pratiquement sans entrave pour ce qui est de l’accès à des activités non salariées.

La liberté de circulation des personnes morales s’est concrétisée quant à elle plus progressivement, en raison des difficultés des Etats membres à trouver un accord sur sa mise en oeuvre. L’échec de la Convention du 29 février 1968 sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et personnes morales, jamais entrée en vigueur et les blocages toujours actuels empêchant l’adoption de la 14è directive illustrent la réticence des Etats à admettre que les entreprises disposent d’un entier droit d’établissement.

Aussi, alors que l’article 48 du traité CE assimile les personnes morales aux personnes physiques , les personnes morales ont une liberté de mouvements moindre que les citoyens européens. Les entreprises bénéficient d’un droit d’établissement “secondaire” (création d’agences, de succursales, ou de filiales) mais non “primaire” (transfert de siège et fusion transfrontalière ). C’est en ce sens que le statut de la SE, qui garantit à cette dernière une véritable mobilité transfrontalière, ouvre la voie à la reconnaissance d’une citoyenneté européenne des entreprises.

Un statut communautaire, mais un ancrage national

Il y a cependant loin entre l’ambition de départ et le compromis final traduit par le Règlement et la Directive de 2001. Les premiers projets de statut de SE, notamment la proposition de la Commission de 1970, procédaient d’une logique nettement fédérale. Cette proposition ne portait pas seulement sur les aspects de droit commercial du statut de la SE. Elle comportait également des dispositions sur sa fiscalité, ses normes comptables et sur son dispositif social avec l’institution d’un comité d’entreprise européen. La SE devait représenter un nouveau modèle original de société commerciale régie par un droit communautaire autonome . Son statut, très complet, devait être en tous points uniforme dans l’ensemble de la Communauté . En d’autres termes, les entreprises devaient avoir le choix entre un statut de droit local (déterminé par le pays d’implantation de leur siège social) et le statut de SE relevant uniquement du droit communautaire et donc identique d’un Etat à l’autre. La SE avait ainsi vocation à être le parangon du “28è régime” .

Cette conception d’un droit communautaire, certes optionnel dans le cas de la SE, mais indépendant des systèmes juridiques nationaux, a vite fait long feu. Force est de le constater : en dehors du droit de la concurrence et de la politique monétaire , aucun régime juridique véritablement transnational n’est venu s’ajouter aux deux premiers. Le droit des sociétés reste ancré dans les cultures nationales et les textes d’harmonisation dont il fait l’objet laissent subsister de fortes disparités entre Etats.

L’évolution des multiples propositions modificatives du statut de la SE a mis à jour les divergences d’intérêt existant entre les Etats (administrations fiscales), les acteurs économiques (dirigeants des sociétés, actionnaires et créanciers) et les acteurs sociaux (salariés et représentants syndicaux). De sorte que le texte final laisse aux Etats membres une large marge d’initiative pour moduler discrétionnairement le statut de la SE en fonction de leurs traditions juridiques, et de leurs choix politiques et économiques.

La proposition d’origine de la Commission a été amputée de plusieurs chapitres. Le dispositif fiscal a disparu, renvoyant au dilemme toujours actuel entre une harmonisation fiscale favorable aux entreprises et la préservation de la souveraineté des Etats membres en ce domaine. Pourtant la Commission ne proposait pas de révolutionner la matière. En 1970, elle indiquait que “la société anonyme européenne doit demeurer soumise aux exigences fiscales nationales, l’élaboration d’un régime fiscal propre à la société anonyme européenne risquant d’être la source de discriminations dans un sens ou dans l’autre par rapport aux sociétés anonymes de droit national” . Pour éviter cependant les inconvénients de cette absence de corpus fiscal, les premières versions du Règlement prévoyaient que les actionnaires d’une SE créée par fusion ne pouvaient être imposés sur les plus-values constatées lors de l’échange des titres. Surtout elles prévoyaient un système de compensation des pertes des établissements stables de la SE, ainsi que des filiales détenues à au moins 50%. Par ailleurs, les transferts de siège de la SE devaient se faire en franchise d’impôts, sous condition de résidence d’au moins cinq ans dans l’Etat d’origine. La jurisprudence récente de la CJCE, de même que la directive du 23 juillet 1990 modifiée par celle du 17 février 2005 ont partiellement redonné vie à ce dispositif pour toutes les sociétés de capitaux, mais sans que la SE ne bénéficie à cet égard d’aucun avantage spécifique.

Ont également été retirées du règlement CE n° 2157/2001 les dispositions concernant l’harmonisation des comptes annuels (prévues maintenant par des textes de portée générale ) et le comité d’entreprise européen (dont la création peut être décidée par n’importe quel groupe européen ).

Le deuxième type important de modifications a porté sur le statut social de la SE. S’il est un domaine qui singularise la SE, c’est bien en effet celui du droit du travail. Le statut de la SE comporte un volet commercial et un volet social, ce dernier faisant finalement l’objet d’un texte à part : la directive précitée du 8 octobre 2001. Celle-ci instaure un mécanisme de négociation à mettre en place à l’échelle de toutes les unités (filiales et autres établissements) de la société qui doit déboucher sur la définition du système d’implication des travailleurs propre à chaque SE . Le dispositif de la directive de 2001 est le “complément indissociable” du statut commercial de la SE et aucune société européenne ne peut être immatriculée s’il n’a été intégralement respecté.

La troisième évolution par rapport au projet initial du statut de la SE a conduit à bouleverser la philosophie même de la réforme. Loin de constituer une forme sociale autonome, la SE n’est plus dotée in fine que d’un statut communautaire “cadre”. Complété et précisé par les dispositions du droit de l’Etat du siège de l’entreprise, le statut de la SE y perd en cohérence. Il en résulte qu’une SE immatriculée dans un Etat est plus proche d’une société anonyme nationale que d’une SE immatriculée chez le voisin. La SE aurait pu être au moins l’occasion d’harmoniser la protection des actionnaires et des créanciers directement concernés par les opérations transfrontalières encouragés par son statut. Car ces opérations ont pour effet de changer le droit qui leur est applicable. On peut regretter que sur ce point capital, un consensus n’ait pu être dégagé.

Le règlement CE n° 2157/2001, pour ce qu’il ne traite pas, renvoie en son article 9 aux Etats le soin de fixer - soit dans des dispositions spécifiques, soit au titre du droit commun de leurs sociétés anonymes - les dispositions applicables à la SE. L’article en question précise que “les dispositions des statuts de chaque SE s’appliquent dans les mêmes conditions que pour une société anonyme constituée selon le droit de l’Etat membre où la SE a son siège statutaire”, ce qui veut dire que la liberté statutaire de la SE peut être plus ou moins sérieusement encadrée selon les Etats. Enfin, en rappelant que les législations nationales sur la SE “doivent être conformes aux directives applicables aux sociétés anonymes…”, l’article 9 du règlement souligne - s’il en était besoin - le caractère partiel du statut de la SE, les directives communautaires sur le droit des sociétés et sur le droit boursier restant une source importante pour combler les lacunes de son régime juridique .

Le renvoi opéré par le règlement CE n° 2157/2001 aux droits des Etats membres ne constitue pas nécessairement un handicap. Il peut même faciliter l’acclimatation des systèmes juridiques nationaux à la SE comme forme sociale nouvelle, tout en ménageant les traditions étatiques. Après tout, le système qui s’applique aux Etats-Unis en matière de droit des sociétés s’en rapproche. La vraie difficulté provient du fait que les Etats, faute de pouvoir s’accorder sur certains points essentiels, ont multiplié les options possibles. Cette application “à la carte” du Règlement va à l’encontre de la conception même d’un statut de droit communautaire .

La généralisation des systèmes d’option dans la législation communautaire nuit à sa lisibilité et à sa crédibilité ainsi qu’à la sécurité juridique . La complexité du droit qui en résulte constitue en outre une charge financière et administrative qui pèse sur les entreprises. Pour y remédier, on peut soit simplifier les textes en vue d’une harmonisation plus poussée, soit supprimer des pans entiers de la législation communautaire. C’est cette seconde option qui est proposée, dans le cadre du programme d’action “Mieux Légiférer” en matière de droit des sociétés, pour ce qui concerne notamment les fusions et scissions . Plutôt que de revenir sur des textes ayant permis de rapprocher les pratiques des Etats membres, il paraîtrait plus efficient de limiter les possibilités offertes aux Etats de moduler comme bon leur semble des textes communautaires destinés en principe à unifier les règles qui s’appliquent aux entreprises. L’harmonisation législative a l’avantage - par rapport à la déréglementation - de concilier le souci d’alléger les charges des entreprises et la nécessaire protection des intérêts de leurs “stakeholders” : actionnaires, salariés ou créanciers.

En dépit de ses faiblesses congénitales, le statut de la SE présente des avantages sans équivalent, du fait notamment de la liberté de circulation dont jouit la SE et qui est supérieure à celle de tout autre type de société commerciale en Europe.

Si les conditions de création d’une SE sont strictement encadrées, son statut communautaire constitue pour elle un atout en termes de gouvernance et surtout de mobilité.

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)
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