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Intervention du 14/05/08

L’Europe face à la Russie en régime de cohabitation

Depuis la prise de fonction le 8 mai de Vladimir Poutine comme Premier ministre, la Russie vit sous un régime de cohabitation. Si le nouveau Président russe, Dimitri Medvedev, détient toujours en droit les pouvoirs les plus étendus, spécialement en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère, tout porte à penser que Vladimir Poutine demeurera l’homme fort.

S’agissant des relations entre la Russie et l’UE, aucun infléchissement majeur de la politique russe n’est à attendre du simple fait de la cohabitation. Le changement ne viendra que des Européens et de leur capacité à agir de façon unie.

Chronique publiée dans le journal La Tribune, le 14 mai 2008.

Depuis la prise de fonction le 8 mai de Vladimir Poutine comme Premier ministre, la Russie vit sous un régime de cohabitation. Inédite à Moscou, la situation a des précédents en France sous les présidences de François Mitterrand (avec Jacques Chirac, puis Edouard Balladur) et de Jacques Chirac (avec Lionel Jospin). Même si dans les deux cas, c’est le Premier ministre qui est appelé à prendre le dessus, l’exemple français n’est pas transposable.

Certes, comme dans notre pays, la Constitution n’a pas été modifiée : le Président russe détient toujours en droit les pouvoirs les plus étendus, spécialement en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère. Le candidat promu par Poutine, Dimitri Medvedev, élu en mars dernier, tient ainsi théoriquement désormais entre ses mains l’imposant arsenal nucléaire du pays.

Pourtant tout porte à penser que le Premier ministre - en l’occurrence Vladimir Poutine - demeurera l’homme fort. En France, la prédominance du Premier ministre en régime de cohabitation tient au fait que celle-ci réalise un nouvel équilibre proche de celui d’un authentique régime parlementaire, avec un chef du gouvernement qui détermine et conduit effectivement la politique de la Nation et un Président, chef des armées, qui, en dehors des périodes de crise, n’a plus qu’un pouvoir d’influence, voire de veto et non d’initiative. En Russie, cette prédominance est inscrite dans la volonté de Vladimir Poutine de continuer à gouverner, sans que l’on sache s’il compte briguer un nouveau mandat présidentiel en 2012. Se présenter pour un troisième mandat en faisant modifier la Constitution aurait pu lui poser problème vis à vis du Conseil de l’Europe. Même si ce dernier est de moins en moins regardant sur le respect par ses membres du principe - gravé dans son statut - de “prééminence du droit…”, il aurait été contraint de réagir car la Russie fait encore peur à certains de ses voisins européens.

Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que Vladimir Poutine va en effet garder la haute main sur les affaires du pays. Son discours devant la Douma, qui lui a accordé l’investiture à une écrasante majorité, ressemble à s’y méprendre à ses allocutions présidentielles avec l’énoncé d’un programme économique et social et l’intention déclarée de faire de la Russie une toute première grande puissance mondiale. Il possède toutes les cartes pour être maître du jeu. Contrairement à son prédécesseur, Dimitri Medevedev n’est pas issu du KGB (devenu FSB). Or plus des ¾ des dirigeants dans le pays ont des liens avec ce service. Le nouveau Premier ministre contrôle les gouverneurs locaux, nommés par lui, et qui désormais lui rendront compte, au lieu du Kremlin. Les assemblées locales et la Douma sont dominées par “Russie Unie”, le parti de Vladimir Poutine. Enfin, la domination établie par celui-ci sur l’immense majorité des médias lui assure le contrôle de l’information.

L’histoire n’est pas écrite. On ne peut savoir si ces médias resteront sensibles aux appels du Kremlin plus qu’à ceux de la Maison Blanche. En l’absence de répartition des postes ministériels, on ne peut davantage préjuger des rapports de force au sein du gouvernement. Malgré les propos du nouveau Président sur le caractère universel des valeurs de la démocratie, ne nous faisons cependant pas trop d’illusions : les anciens officiers des services de sécurité (les “silovikis”) continueront de dominer l’appareil gouvernemental. La volonté de redevenir une grande puissance militaire continuera de s’afficher comme en témoigne la parade du 9 mai (jour de célébration en Russie de la victoire des alliés sur le Troisième Reich) à Moscou où, pour la première fois depuis la fin de l’URSS, fut organisé un impressionnant défilé incluant des lance-missiles. La politique énergétique, principal outil de la politique étrangère, ne variera pas. Gazprom - que Dimitri Medevedev présidait voici peu - a pour vocation de prendre rang comme la première entreprise mondiale (avec une valeur de capitalisation atteignant mille milliards de dollars en 2014) et d’être avec les autres entreprises énergétiques d’Etat le bras séculier de la puissance russe vis-à-vis des pays de transit et des pays importateurs, à savoir l’Europe.

Les relations entre la Russie et l’Europe se sont fâcheusement tendues au fil des années. Il est vrai que les motifs ne manquent pas : menaces - parfois mises à exécution - de cesser d’approvisionner certains pays en gaz, revendications nationalistes sur les formidables ressources minérales de l’Océan Arctique, déploiement de troupes en Georgie dans des régions (Ossétie du Sud et Abkhazie) encouragées à faire sécession, assassinats jamais élucidés de journalistes indépendants, renvoi d’ONG accusées de porter atteinte aux intérêts du pays… et last, but not least, refus ces derniers jours de la Russie (à côté de la Chine) de discuter au Conseil de sécurité de l’ONU de l’aide humanitaire aux sinistrés du cyclone Nargis en Birmanie...

Aucun infléchissement de la politique russe n’est à attendre du simple fait de la cohabitation. Le changement dans les relations entre la Russie et l’Europe ne viendra que des Européens eux-mêmes et de la façon dont ils sauront s’unir pour conclure des contrats énergétiques et définir une ligne cohérente en matière d’infrastructures pour acheminer le pétrole et le gaz russes. Le changement viendra également de la capacité de l’Europe à négocier avec la Russie, sans renoncer à ses principes, un nouvel Accord de Partenariat et de Coopération dont sa dimension politique et non seulement économique et commerciale. Enfin, si l’indépendance du Kosovo ne leur permet pas d’être les mieux placés pour faire valoir les grands principes, les Européens doivent se préparer à réagir ensemble au cas où le conflit improprement qualifié de “gelé” en Abkhazie dégénérait en guerre.

Une chose est sûre en tous cas : la relation de l’Europe avec son voisin russe conserve un rôle déterminant dans la construction européenne. La Russie est un grand pays et une grande culture et ne devrait pas avoir besoin de le réaffirmer en soumettant les Européens à de constantes épreuves de force. Les Européens quant à eux devraient avoir le courage, tout en renforçant leurs rapports industriels et commerciaux avec la Russie, de ne pas transiger sur les valeurs qui forment le socle de l’Europe.

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)
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