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Intervention du 16/06/08

De la SE à la SPE : Un Schengen pour les entreprises

Le projet de loi en cours de discussion “portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire”, qui doit être adopté le 19 juin prochain, est en apparence technique. En réalité, sa portée est politique, car il consacre véritablement le principe de l’existence d’entreprises de “nationalité européenne”.

Outre la “Societas Europaea” (SE) et la Société coopérative européenne (SCE), la présidence française de l’Union, qui commence à la fin du mois, a inscrit parmi ses priorités majeures la création d’une Société privée européenne (SPE). Ce projet est un puissant facteur d’ouverture des marchés nationaux et un levier pour une croissance européenne qu’il faut, dans le contexte actuel de la crise financière, empêcher à tous prix de fléchir.

Chronique publiée dans le journal La Tribune, le 16 juin 2008

Le projet de loi en cours de discussion “portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire”, qui doit être adopté le 19 juin prochain, est en apparence technique. En réalité, sa portée est politique, car il consacre véritablement le principe de l’existence d’entreprises de “nationalité européenne”. Ces entreprises sont en l’occurrence la “Societas Europaea” (SE) (créée par un règlement communautaire de 2001 , instituée en France en 2005 et dont le statut est légèrement modifié par le projet de loi) et la Société coopérative européenne (SCE) qui prend donc place en droit français – comme dans le droit des autres pays européens – en tant que l’une des solutions possibles pour les quelque 21 000 coopératives françaises, ou les quelque 300 000 coopératives en Europe.

Le train ne s’arrêtera pas là. La présidence française de l’Union, qui commence à la fin du mois, a inscrit parmi ses priorités majeures la création d’une Société privée européenne (SPE). La SPE, société commerciale non cotée, est la forme que devraient privilégier les PME désireuses de s’implanter dans plusieurs pays européens. La SPE, dont le statut sera flexible pour alléger au maximum les charges administratives pesant sur les plus petites entreprises, leur permettra de se mouvoir dans l’espace du marché intérieur avec presque la même aisance que sur leur marché domestique . La Commission européenne devrait faire prochainement une proposition sur le statut de la SPE. Si le très libéral Commissaire européen en charge du Marché Intérieur, l’irlandais Charles Mc Creevy, s’est finalement rallié à ce projet français, c’est qu’il a compris qu’il était un puissant facteur d’ouverture des marchés nationaux et un levier pour une croissance européenne qu’il faut, dans le contexte actuel de la crise financière, empêcher à tous prix de fléchir. L’euro a décloisonné les marchés financiers et incité les entreprises à des rapprochements transfrontaliers générateurs de rentabilité. Les “sociétés européennes”, sous toutes leurs formes, doivent corollairement encourager la restructuration à l’échelle de l’Europe des facteurs de production et de commercialisation de manière à ce que les frontières nationales ne soient pas autant d’obstacles à la croissance de nos industries et de nos services.

Aussi étrange que cela puisse paraître en effet, au contraire des citoyens, qui vont en Europe d’un pays à l’autre sans encombre, ni passeport, les entreprises, elles, sont arrêtées à la frontière. Il leur est pratiquement interdit de transférer leur siège dans un autre Etat membre ou même de fusionner leur patrimoine avec celui d’une société d’un autre Etat membre dans le cadre d’une fusion transfrontalière. Leur nationalité leur met un fil à la patte. Si elles veulent passer la frontière, elles doivent disparaître, c’est-à-dire être liquidées juridiquement avec toutes les conséquences fiscales pénalisantes qui s’ensuivent, pour renaître sous une autre forme et avec une autre nationalité dans le pays d’accueil.

C’est le paradoxe européen. En moyenne, les dizaines de millions d’entreprises qui opèrent en Europe réalisent 2/3 de leurs échanges commerciaux dans l’espace européen. Dans le même temps, elles ne jouissent pas d’une véritable mobilité dans cet espace du fait d’une conception étroitement nationale de leur statut juridique et fiscal. La jurisprudence récente de la Cour de Justice Européenne en a atténué les effets. Les sociétés d’un autre Etat ont désormais pratiquement les mêmes droits que les sociétés locales dans chaque Etat membre. La pratique a également pallié les contraintes du cloisonnement du marché pour les entreprises, à travers par exemple des participations croisées entre sociétés de nationalités différentes, ou encore par le recours par ces sociétés à des holdings communs et la mise en place de filiales communes. Le prix en a cependant été la complexité et parfois même une certaine opacité.

Cette complexité, le droit communautaire vient heureusement y remédier, au moins partiellement. Parallèlement à la création d’entités juridiques dotées d’une personnalité européenne telles que la SE, la SCE et la SPE, une directive de 2005, dont le projet de loi évoqué plus haut opère la transposition, consacre en effet la possibilité de fusions transfrontalières selon une procédure similaire à celle prévue pour les fusions nationales. C’est un pas important qui est ainsi franchi dans la voie de l’intégration de l’économie européenne.

Il était temps. Il ne faut pas avoir peur de l’espace et de la mobilité des entreprises en Europe. On comprend que les Etats soient soucieux de garder des emplois sur leur territoire et de conserver des ressources fiscales tirées des activités qui s’y déploient. Mais là n’est pas le sujet. Eriger des barrières pour empêcher la sortie de ces activités n’a jamais évité les délocalisations, que ce soit en Europe même ou vers l’Asie notamment. Il faut prendre le problème autrement et considérer la nécessité de continuer de construire en Europe des champions mondiaux dont l’ancrage européen est affirmé au travers d’une identité paneuropéenne, et qui seront d’autant mieux en mesure de conquérir sous cette bannière des marchés étrangers.

Les statuts des sociétés européennes, tels qu’ils ont été institués par le législateur communautaire, sont le fruit de compromis laborieux et ils sont donc perfectibles. Ils ont néanmoins attiré aujourd’hui près de 130 entreprises qui ont adopté le statut de SE, dont la société d’assurance Allianz, la compagnie de réassurance SCOR ou encore dans l’industrie Porsche.

Ces entreprises ont certainement retenu la formule de Mario Monti, alors commissaire au Marché Intérieur, et qui a été l’un des promoteurs les plus ardents de la SE : “ Imagine-t-on que Bill Gates aurait eu un tel succès aux Etats-Unis avec Microsoft s’il avait dû créer une filiale dans chaque Etat au lieu d’opérer dans tous les Etats-Unis avec la même société ?"

Déjà, certains annoncent la relance des projets de création de “Mutuelles européennes”, d’“Associations européennes” ou de “Fondations européennes” pour parachever l’œuvre engagée voici plus de cinquante ans, dans le cadre du Conseil de l’Europe, vers la reconnaissance d’une forme de “citoyenneté européenne” des personnes morales. C’est tout à l’honneur de la France d’avoir initié ce mouvement et de continuer à l’encourager en proposant la création de la SPE.

Le traité de Maastricht en 1992 a créé pour les individus une “citoyenneté européenne” porteuse de droits et de devoirs. Un autre traité devra sans doute à l’avenir acter l’émergence de cette “citoyenneté européenne” de l’entreprise ou de l’association faite à la fois, comme pour les personnes physiques, du droit à la liberté de circulation et de l’exigence d’une responsabilité sociale dans tout l’espace européen.

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)
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