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Intervention du 15/07/08

Bronislaw Geremek est mort, l’Europe est en deuil

Comment cela est-il possible ? Bronislaw Geremek, historien avisé, observateur engagé, héros de la résistance à l’oppression sous toutes ses formes, et ami, est mort. C’est un père fondateur de la Nouvelle Europe, celle qui va de l’Atlantique à l’Oural - ou presque - qui nous quitte. L’Europe est en deuil.

J’ai eu le privilège de faire sa connaissance fin 2002. Mon premier contact avec lui a été téléphonique. J’étais au Conseil européen de Copenhague, sous présidence danoise de l’Union européenne. Les négociations d’adhésion se terminaient…dans la douleur, les discussions étaient âpres. La délégation polonaise notamment considérait que la Pologne n’était pas suffisamment servie en termes d’aides financières communautaires ! Finalement, le gouvernement polonais a été entendu et un milliard d’euros lui a été attribué, à titre supplémentaire par rapport à ce qui avait été prévu, ceci à l’occasion de son adhésion à l’Union…

Pour le ministre des Affaires européennes que j’étais, un Conseil européen permet des contacts bilatéraux pendant la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement à laquelle on ne prend part que très épisodiquement. On a donc le temps de penser à la suite, quand il faudra mettre en œuvre les orientations décidées au Conseil. J’avais par ailleurs entrepris de rédiger une tribune pour le Figaro et pour ce faire, je m’enquérais auprès de mes homologues des pays candidats à l’entrée dans l’Union, en particulier ceux de l’Europe centrale et orientale, de la façon dont ils jugeaient cette future accession, non seulement du point de vue de l’intérêt de leur pays, mais de l’Europe tout entière. J’étais spécialement intéressée par la Pologne. Pays fascinant, il avait été purement et simplement rayé de la carte entre la fin du 18ème siècle et la signature du traité de Versailles en 1919, et son peuple avait gardé un sentiment d’unité expliquant d’ailleurs parfois cette énergie à vouloir à tous prix obtenir « réparation » pour les souffrances du passé.

Qui pouvait mieux m’éclairer sur l’état d’esprit régnant en Pologne que Bronislaw Geremek, cet historien médiéviste qui avait trouvé à la Sorbonne le moyen d’enseigner des générations d’étudiants plus admiratifs les uns que les autres en leur expliquant où se trouvent les racines de la culture européenne ! Je l’ai donc appelé chez lui et j’ai été immédiatement fascinée par sa pensée, sa droiture, sa vision. Nous étions en décembre 2002 et, jour pour jour, 13 ans auparavant, pour mater la révolte de Gdansk, la loi martiale était adoptée dans la Pologne soviétisée et Geremek - avec des milliers d’autres - jeté en prison pour avoir tout simplement réclamé la liberté.

Depuis cet épisode, nous sommes devenus amis, et nous nous rencontrions au hasard des circonstances et en fonction des circonstances. C’est ainsi que j’avais fait appel à lui lorsque des personnalités de mes connaissances avaient été inquiétées par le vote en 2007 d’une nouvelle loi dite « de lustration » destinée à pourchasser, en fait moins les véritables indicateurs/collaborateurs du Kremlin du temps de l’URSS, que certains agitateurs d’idées critiques du pouvoir en place et donc gênants. C’est alors que, soumis lui-même à cette loi, il pris seul, avec un courage admirable, la décision de la dénoncer devant le Parlement européen dont il était membre. La riposte gouvernementale ne se fit pas attendre. Les frères Kajzcinski lui signifièrent sa prochaine destitution de son mandat. Mais la menace ne fut pas mise à exécution, et c’est la Cour constitutionnelle polonaise qui se chargea de donner le coup de grâce en invalidant pour atteinte aux droits et libertés la majeure partie de la loi.

Je suis triste et j’ai aussi un regret. Geremek aurait du prendre, à un titre ou à un autre, les rênes de l’Europe pour la remettre dans le bon chemin. Il aurait été un excellent Président du Parlement européen, un merveilleux Président du Conseil européen, un magnifique Haut représentant pour les Affaires étrangères de l’Union européenne, façon traité de Lisbonne,. Malgré son indépendance d’esprit, il avait à mon avis ses chances dans le cadre institutionnel futur défini par ce traité.

Sa disparition nous laisse désemparés. C’est un père fondateur de la nouvelle Europe qui s’en va et personne ne le remplacera. J’ai proposé sur mon blog de l’Express que l’on crée un titre de "CITOYEN D’HONNEUR DE L’EUROPE". Rendons-lui hommage, il sera le premier.

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)
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