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Intervention du 5/09/08

Chypre : les négociations de la dernière chance

Depuis la partition de l’île en 1974, et notamment depuis l’auto proclamations de la "République turque de Chypre Nord" (reconnue par la seule Turquie au plan international), les Présidents en exercice du Nord et du Sud de l’île sont enfin les Présidents du oui à la réunification ! Pour autant, les difficultés sont loin d’être aplanies. Les deux Présidents ont conscience qu’ils jouent leur dernière carte.

Demetris Christofias l’a exprimé clairement en déclarant : "Un nouvel échec aurait des effets dévastateurs sur notre peuple". La Turquie qui fait sa rentrée sur la scène internationale dans plusieurs régions “chaudes” de la planète, aura certainement un rôle clé à jouer dans ces négociations.

Deux Présidents en place favorables à la réunification

Depuis la partition de l’île de la belle Aphrodite, et notamment depuis l’autoproclamation de la "République turque de Chypre Nord" (la RTCN, reconnue par la seule Turquie au plan international), les Présidents en exercice du Nord et du Sud de l’île sont enfin les Présidents du oui à la réunification !

Cette conjoncture politique n’est pas le fruit du hasard. Elle est la conséquence directe d’une volonté politique des Chypriotes. En 2004, les Chypriotes Turcs (dont l’actuel président Mehmet Ali Talat élu en 2005 après 40 ans de “règne” de Rauf Denktash, est un partisan de la réunification) ont voté à une large majorité pour la mise en œuvre du Plan Kofi Annan établi à cet effet dans le cadre des Nations Unies. Ce faisant, ils ont manifesté leur souhait de retrouver les citoyens de l’autre côté de la “ligne verte” , qui partage Nicosie (voir la carte de la division de Chypre - La Documentation française) . Les Chypriotes Grecs avaient alors voté non au référendum sur le plan Annan. Toutefois depuis février 2008, on peut considérer qu’ils ont exprimé une position plus favorable à la réunification. En effet, lors des élections présidentielles, Tassos Papadopoulos, Président sortant et qui avait mené la campagne du non a été battu, tandis que les deux candidats restant en lice au deuxième tour – Ioannis Kassoulidès et Demetris Christofias – étaient ceux qui s’étaient courageusement déclarés pour la réunification. La signification de l’élection de Christofias, professeur d’histoire qui a grandi en Union soviétique, est très nette. Son parti – le parti communiste AKEL (aux positions cependant peu marxistes…) – est celui qui, depuis sa création s’est farouchement opposé aux tendances nationalistes des promoteurs de l’Enosis (rattachement de Chypre à la Grèce)

Des rendez-vous manqués.

J’ai rencontré en 2003 pratiquement tous les protagonistes de la pièce qui se joue actuellement et qui est si importante pour l’avenir de l’Union européenne. Elle est importante pour l’Europe comme théâtre, non seulement de la réunification (en Allemagne), mais également et surtout de la réconciliation (entre la France et l’Allemagne bien sûr, mais aussi entre la Pologne et l’Allemagne, en Irlande, et j’en passe). Des échanges que j’ai pu avoir avec Mehmet Ali Talat ou Demetris Christofias notamment, il m’a effectivement semblé que la partition de l’île n’avait plus de sens. D’ailleurs est-il normal qu’au sein de l’Europe du 21ème siècle, la capitale d’un pays, en l’occurrence Nicosie, soit partagée comme l’était Berlin même du temps du rideau de fer ?

Lorsque j’ai visité Chypre en 2002/2003, comme ministre des Affaires européennes, étaient encore en place, deux Présidents aux accents nationalistes qui ne parvenaient pas à trouver un terrain de dialogue. Rauf Denktash au Nord, et Glafkos Clerides pour la partie grecque, passaient leur temps à s’envoyer des amabilités. Je me souviens que lors du Conseil européen de Copenhague fin 2002, une lueur d’espoir est apparue avec le projet de rencontre entre les deux Présidents. Mais Denktash s’est fait en dernière minute porté pâle…et rien n’a pu se passer.

Un passé riche en influences qui ont fragilisé son unité

Beaucoup de pays européens ont été soumis à des influences et des dominations diverses. Mais le cas de Chypre est presque limite. Appartenant à la Grèce de l’Antiquité, Chypre a été ensuite rattachée à Rome, puis même pour un cours moment à l’Egypte de Cléopâtre, avant de revenir sous “protection” romaine. Puis l’île a été contrôlée par Byzance et la France, avant d’être cédée aux Vénitiens en 1489, et un siècle plus tard, conquise par les Turcs. L’histoire des dominations successives ne s’arrête pas là. En 1878, Chypre devient un protectorat du Royaume-Uni, et même une colonie de la Couronne en 1925. L’indépendance proclamée en 1960 n’est pas parfaite si l’on peut dire, puisqu’elle est placée sous l’égide conjointe du Royaume-Uni, de la Turquie et de la Grèce. Cette multiplicité d’influences est une source de richesses, mais aussi – O combien ! – de fragilité. Cette vulnérabilité a été illustrée en 1974 lors du coup d’Etat fomenté par des nationalistes chypriotes grecs inspirés par les colonels grecs qui ont tenté de prendre pied sur l’île, en s’attirant la riposte immédiate de l’armée turque. Et l’on en est resté là.

Une situation Nord/Sud qui s’est cristallisée

La situation s’est cristallisée de part et d’autre. Chypre Nord (près de 40% du territoire) est nettement sous domination turque, avec la présence de 40 000 soldats turcs et des militaires turcs à la retraite qui y ont y leur résidence habituelle. On estime en outre à environ 170 000 chypriotes grecs le nombre de déplacés lors de la crise de 1974, dont beaucoup possèdent des titres pour réclamer la restitution de leurs biens.

Il est un fait qu’au Nord, l’économie est bien moins prospère et organisée qu’au Sud. La corruption est non négligeable. La Turquie avait menacé purement et simplement d’annexer le Nord en cas d’adhésion de Chypre divisée à l’UE. Mais sa position s’est sensiblement assouplie depuis l’adhésion de la République de Chypre en mai 2004.

Symbole douloureux de la division de l’île, la "ligne verte" fait office de véritable frontière au milieu même de Nicosie, la capitale du pays, qui ne compte pas moins de 250 000 habitants. Au long des 180 km de cette ligne, stationne une force de paix de l’ONU (UNFICYP) de 1200 hommes et femmes. Des points de passage ont été aménagées depuis quelques années, mais la barrière demeure… Vers une Fédération ?

Déjà le plan Annan proposait la création d’une Fédération semblable à la Suisse. Les conversations actuelles entre les dirigeants au Sud et au Nord portent sur le même schéma, à savoir le passage d’un Etat unitaire à une Etat Fédéral en deux entités. Si les négociations ont été néanmoins initiées le 3 septembre pour être officiellement relancées le 11, c’est que la volonté politique est là.

Pour autant, les difficultés sont loin d’être aplanies. Les deux Présidents ont conscience qu’ils jouent leur dernière carte. Demetris Christofias l’a exprimé clairement en déclarant : “"Un nouvel échec aurait des effets dévastateurs sur notre peuple".

Mais cela ne signifie pas que les responsables politiques, fonctionnaires et experts (180 groupes de travail ont été constitués) qui s’attèlent à la relance des négociations sont près à s’accorder sur tout. Christofias veut partir de l’accord négocié en juillet 2006 dans le cadre des Nations Unies, qui prévoit une approche progressive de la réunification, et ménage les droits des Chypriotes grecs spoliés. Ali Talat quant à lui privilégie, comme base de départ, le plan Annan rejeté en République de Chypre lors du référendum d’avril 2004.

Une multiplicité d’acteurs : UE, ONU, Turquie, Union pour la Méditerranée

Tout va se jouer dans les mois à venir. Et se jouer entre différents types d’acteurs.

D’abord, les Nations Unies ont leur mot à dire, et du reste, les membres du Conseil de sécurité viennent le 5 septembre de manifester leur satisfaction de voir la relance des négociations sur la réunification de l’île. Cependant leur nouvel émissaire, Alexander Downer, se plaît à souligner que cette fois-ci l’envoyé de l’Organisation n’aura plus un rôle directeur comme par le passé, mais se veut davantage un “facilitateur” qu’un "négociateur". Rien que de logique, dès lors que les deux Présidents cherchent eux-mêmes un terrain d’entente.

Sagement, l’UE veut aussi limiter son rôle à encourager les deux interlocuteurs principaux. Une réconciliation ne peut en effet se faire si les protagonistes n’en veulent pas réellement.

N’est-ce pas en fait la Turquie qui a la clé ? Une Turquie, membre de l’OTAN et candidate à l’UE, qui fait sa rentrée sur la scène internationale dans plusieurs régions "chaudes" de la planète. Confrontée aux mouvements sécessionnistes Kurdes, son rôle en Irak n’est de facto pas négligeable. Il est certainement bien plus important dans la Région de la mer Noire, non seulement parce que le pays détient le contrôle du passage par le Bosphore et les Dardanelles, mais aussi parce que c’est un pays de transit de premier plan du pétrole comme du gaz.

Plus récemment, la Turquie a proposée sa médiation dans le conflit entre la Syrie et Israël, ce qui a été réaffirmé à l’occasion du voyage de Nicolas Sarkozy à Damas. La Turquie vient également de se déclarer prête pour aider à résoudre la situation de crise entre la Géorgie et la Russie en constituant avec la Russie un groupe des pays du Caucase. Enfin, last but not least, le souriant Président Abdullah Gül vient de répondre favorablement à l’invitation de son homologue arménien de se rendre à un match de football Turquie-Arménie à Erevan. Cet événement très médiatisé est peut-être le plus chargé de sens politiquement !

Les mouvements qui s’opèrent dans les positions des pays autour de région à la frange de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique interrogent la politique étrangère de l’Union européenne. Conclusion :la Turquie est un acteur international avec il faudra de plus en plus compter non seulement au sein de l’OTAN, mais également par rapport à l’UE avec en arrière-fond les négociations lancées en octobre 2005, de même qu’au sein de l’Union pour la Méditerranée et en tout état de cause, comme grand voisin.

Décidément, les nouveaux équilibres qui se dessinent font que la voie de l’Europe comme entité internationale n’est pas toute tracée.

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)
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