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La présidente du Cercle des Européens réalise sa chronique "Le Monde selon Noëlle Lenoir" sur l'enquête antitrust contre Gazprom menée par la Commission européenne.
Quand la Commission européenne a annoncé en septembre 2012 qu’elle lançait une enquête pour pratiques anticoncurrentielles à l’encontre de Gazprom, le géant gazier du Kremlin, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe. La plupart des pays européens sont, on le sait, totalement ou largement dépendants pour leur approvisionnement en gaz naturel de cette entreprise. Celle-ci dispose d’un quasi-monopole d’importation du gaz en Europe obtenu sur la base d’accords bilatéraux conclus avec les Etats-membres agissant hélas en ordre dispersé. C’est le cas principalement de l’Allemagne à qui Gazprom, via des contrats de long terme, consent des prix privilégiés. Gazprom est de plus actionnaire de plusieurs sociétés européennes de distribution de gaz, de sorte qu’elle maîtrise en réalité toute la chaîne industrielle depuis l’extraction-production jusqu’à la distribution en passant par le transport du gaz par ses différents gazoducs.
Ce que lui reproche la Commission européenne, c’est d’abuser de cette position dominante : en empêchant les concurrents de proposer aux Européens des conditions de vente plus avantageuses, et surtout en imposant des prix excessifs. Cela est du en grande partie au fait que les contrats de vente de gaz prévoient d’en indexer le prix sur celui du pétrole. Dans la plupart des pays, cela se traduit par une flambée des prix aux consommateurs. En France, où les prix sont encore fixés par l’Etat, cela entraîne des pertes pour les importateurs tels que GDF/Suez en particulier.
Donc la Commission veut y mettre bon ordre. On ne sait pas ce que donnera cette enquête. Peut-être la Commission conclura-t-elle finalement que « circuler, il n’y a rien à voir » considérant les pratiques de Gazprom conformes aux normes du marché européen. Je ne le crois pas. Or Gazprom risque gros, puisque les amendes infligées par la Commission peuvent théoriquement atteindre 10% du chiffre d’affaires des entreprises sous enquête antitrust.
Vladimir Poutine n’a pas tardé à réagir. Aussitôt connu le lancement de l’investigation européenne, il a en effet pris un décret interdisant à Gazprom de fournir aucune information à la Commission sans autorisation expresse de son gouvernement.
Quelle mouche a donc piqué l’Europe pour qu’elle se découvre ainsi volontaire pour faire respecter par notre partenaire russe quelques règles de fair play, ce dont elle ne se préoccupait pas il y a encore peu d’années ? Il est loin en effet le temps où grâce au lobbying de l’ancien Chancelier allemand, Gerhardt Schröder, devenu administrateur de Nord-Stream– la société gestionnaire de ce gazoduc – parvenait à contourner les pays Baltes – Lettonie, Estonie et Lituanie – pour promouvoir un projet qui permet maintenant de relier directement la Russie à l’Allemagne.
Aujourd’hui, les pays Baltes se rebiffent. D’ailleurs c’est l’attitude de la Russie vis-à-vis de la Lituanie qui a sans doute incité le Commissaire européen chargé de la concurrence, l’espagnol Joaquin Almunia, à agir. Le gouvernement de cette ancienne République soviétique devenue membre de l’Union européenne en 2004 a souhaité, conformément à la législation européenne, se doter d’un distributeur de gaz totalement indépendant de l’entreprise qui en assure le transport à travers les gazoducs. Ce qui visait Gazprom qui a répondu en menaçant le gouvernement lituanien de hausses de prix considérables.
La menace a été jugée comme suffisamment crédible et inacceptable pour que l’Union européenne fasse enfin entendre sa voix.
Comme par hasard, Gazprom, dont des actifs pourtant appartiennent à des proches du Président de la Fédération de Russie, fait l’objet de critiques croissantes de la part du pouvoir russe. Un audit de la Cour des comptes russe est en cours. D’autres grands producteurs et distributeurs russes vont concurrencer Gazprom. Une société – Novatek – dont le président est le fondateur du club de judo de Saint-Pétersbourg dont Vladimir Poutine est le Président d’honneur, prend ainsi des parts de marché avec le soutien du Kremlin. Mais cela ne résoudra pas le problème que pose à l’Europe son insuffisante indépendance énergétique.
Conclusion :
- Si l’Europe n’a pas de politique énergétique, c’est que les Etats et leurs entreprises ont jusqu’ici préféré – ils ont tort – faire leur petite cuisine via des relations strictement bilatérales avec les opérateurs tels que Gazprom. Donc c’est la Commission qui doit agir.
- Le modèle russe de rente gazière – consistant à acheter à bas prix le gaz de l’Asie Centrale pour le revendre au prix fort en particulier en Europe– n’est plus soutenable dès lors notamment que la consommation baisse et que le gaz naturel est concurrencé par le gaz de schiste.
- Enfin et surtout, la principale conclusion, concerne l’Europe. Quand elle agit comme une force économique à part entière, elle redevient maîtresse de son destin et d’un destin qui est nécessairement en partie énergétique !
https://twitter.com/noellelenoir
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