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Parmi les rencontres que j’ai faites dans ma vie professionnelle, l’une des plus rares et des plus précieuses a été celle avec Yves Guéna. Non que la foi européenne nous ait rapprochés, loin de là. Lorsque j’ai fait sa connaissance au Palais Royal après sa nomination au Conseil constitutionnel en 1997 par André Monory, Président du Sénat, je savais pertinemment que, contrairement à Jacques Chirac, il avait voté non au référendum sur le traité de Maastricht en 1992. Il considérait que ce serait la voie ouverte à une « Europe de l’impuissance » prédisant peut-être alors les blocages et les pesanteurs que risquait d’induire un traité ambitieux dont la mise en œuvre exigeait des efforts conjoints de la part des Etats. On peut dire qu’en effet aujourd’hui, ces efforts n’ayant pas été consentis, l’Union européenne peine à s’affirmer sur la scène internationale. La cause en est moins cependant le traité de Maastricht lui-même, que le fait que les Etats aient renoncé à aller jusqu’au bout de sa logique : l’union monétaire a bien vu le jour avec l’euro, mais pas l’union économique qui devait pourtant impérativement l’accompagner. Nous en parlions souvent et je me rends compte avec le recul combien Yves Guéna était exceptionnellement ouvert à la discussion et acceptait la contradiction.

Cette ouverture d’esprit, il en a fait bénéficier tous les membres du Conseil à compter du moment où il l’a présidé en 1999. Nous avions tous pleinement conscience qu’avant sa nomination au Conseil constitutionnel, il était déjà entré dans l’histoire : à 17 ans, ayant entendu l’appel du 18 juin, avait rejoint à Londres la résistance gaulliste avant d’aller combattre au sol tant en Afrique qu’en France au point de risquer d’y laisser sa vie après avoir été grièvement blessé. Il avait été un des ministres les plus entreprenants à la tête de ministères économiques successivement sous les présidences du Général de Gaulle et de Georges Pompidou. Maire de Périgueux pendant de longues années, il y était aimé, respecté et écouté, ainsi que nous avions pu le mesurer en nous rendant à son invitation et à celle d’Oriane son épouse, dans leur résidence de Chanterac. Comme parlementaire à l’Assemblée, puis au Sénat ses interventions comptaient.

Les hasards de l’histoire ont voulu qu’il céda son siège à l’Assemblée nationale à Roland Dumas élu député dans la vague de 1981, puis qu’il lui succéda près de 20 ans plus tard en 1999 à la tête du Conseil constitutionnel. Celui-ci traversait un période difficile qui se conclut par la démission de Roland Dumas. La personnalité consensuelle d’Yves Guéna et son sens de la décision ont permis d’apporter alors la stabilité et la sérénité indispensables à une juridiction qui joue un rôle majeur dans l’équilibre institutionnel.

Durant sa présidence, les débats en séance étaient spécialement ouverts et animés. Chacun pouvait s’exprimer et prendre son temps pour ce faire. Aucun sectarisme ne régnait de sorte qu’il eut été difficile à un observateur extérieur de déceler quelque véritable clivage politique que ce soit entre les membres du Conseil constitutionnel. C’est sous sa présidence qu’avaient été initiées des « séances blanches », en dehors de celles consacrées au contrôle de la constitutionnalité de la loi, dans le but de débattre des questions de fond apparaissant de nature à changer fondamentalement la jurisprudence du Conseil. L’une d’entre elles, dédiée aux relations entre le droit communautaire et le droit constitutionnel, a permis de poser les jalons des avancées que le Conseil fera plus tard en la matière, notamment à partir de 2004. Le thème du fédéralisme européen, et de ses incidences sur les compétences des juridictions nationales, a aussi été au cœur de la réception en 2000 des juges de la Cour suprême des Etats-Unis venus rencontrer leurs homologues de Strasbourg, de Luxembourg, de Karlsruhe et in fine de Paris.

Au-delà du grand politique, gaulliste fidèle à son engagement, du juriste, du résistant de la première heure, de l’écrivain, de l’ami, Yves Guéna restera pour moi un modèle d’humanité. Dans un monde où le pouvoir côtoie trop souvent la médisance et la méchanceté, je ne l’ai jamais entendu tenir un propos malveillant ou excessif. Tout juste parfois de la dérision et de l’humour dans les situations tendues telles qu’un président du Conseil constitutionnel peut en connaître quand les décisions prises par le Conseil déplaisent à certains, dans l’arène politique ou dans les média. Je pourrais témoigner de cette humanité et de cette affabilité avec tout un chacun, à quelque niveau que ce soit, en maintes occasions. Récemment encore, à l’occasion de l’interview qu’Yves Guéna a donnée à l’occasion de la célébration en 2013 du traité de l’Elysée de 1963 ayant scellé la réconciliation allemande, je n’ai pas été surprise en l’entendant déclarer qu’il n’avait aucun ressentiment à l’encontre du soldat allemand qui à la fin de la guerre avait pourtant manqué de le tuer, tout simplement parce que ce soldat faisait comme lui son devoir, a-t-il indiqué au journaliste qui l’interrogeait. J’ai aussi une profonde admiration pour Yves Guéna pour sa modestie et sa simplicité à la hauteur de sa dimension historique.

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